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Peut-on sacrifier l'une des œuvres lyriques les plus emblématiques sur l'autel du modernisme et de la créativité ?

La réponse est oui, selon Elke Neidhart qui, hier soir, a réussi à réaliser ce qui peut être considéré comme une production désastreuse du Don Giovanni de Mozart, présentement joué à l'Opéra de Sydney.

Situé dans la Séville moderne, Don Giovanni est dépeint comme un baron de la drogue dirigeant son quartier d'une poigne de fer. Cela lui permet d'être introduit dans les meilleurs cercles de l'intelligentsia, et de se livrer à une frénésie de conquêtes féminines et de festins de drogue (il prise au moins une douzaine de lignes de cocaïne tout au long de la représentation). Cependant, dans ce qui peut être considéré comme un acte d'apaisement, les personnages restants conservent une majeure partie de leurs caractéristiques d'origine.

Le concept global est différent, innovant, et même séduisant. Mais, dans sa tentative d'injecter du sang neuf dans une création de plus de 200 ans, la réalisatrice nous entraîne dans la confusion, les scènes de taquets inutiles, et même l'ennui. Séville, la ville colorée et vibrante d'Andalousie, se transforme en un gigantesque mausolée aux murs de béton noir et gris, largement inspiré des bandes dessinées d'Enki Bilal. L'ensemble est si oppressant que les chanteurs semblent réduits à de petits nains se perdant dans l’immensité.

Chaque solo, duo, trio, quatuor et quintette sont bafoués individuellement, transformés en une série de situations grotesques telle le Commendatore confiné dans un fauteuil roulant qui ne lui laisse aucune chance évidente de survie face à un jeune Don Giovanni plein de fougue. Passons sur Donna Anna donnant une fellation à Leporello pendant qu'il étale les conquêtes de son maître. Ou le même Leporello réchauffant une boîte de haricots sur une bougie avant de priser un paquet entier de cocaïne. Et, dans un dernier pis-aller, la statue ambulante du Commendatore remplacée par un ensemble géant de projecteurs, probablement inspirés de certaines œuvres de Vasarely.

Nous rions. Nous rions parce que nous nous ennuyons. Nous nous ennuyons, car l'émotion est inexistante pendant toute la représentation. Alors que, comme à son habitude, le jeu des acteurs est éblouissant (une des signatures de l'Opéra de Sydney), la distribution artistique, au lieu d'être époustouflante, est visiblement essoufflée après 10 représentations. Andrew Schroeder (Don Giovanni) se perd dans sa voix, à condition d'arriver à l'entendre. Catherine Carby (Donna Elvira) a utilisé tellement d'énergie dans ses œuvres d’« insufflation » qu'elle doit accélérer sa voix pour éviter de se retrouver à bout de souffle, laissant l'orchestre en plein désarroi. Les autres interprètes sont à peine moyens ; ils chantent bien, juste bien.

Au milieu du chaos, Kate Ladner (Donna Anna) demeure la seule à prendre les devants avec ses tonalités vibrantes. Mais, malgré sa voix colorature talentueuse, elle parvient néanmoins à ruiner son solo le plus important d’un couac.

Ce n'est pas une distribution mozartienne. Ces jeunes chanteurs, bien que plein de potentiel, ne sont pas adaptés à cette performance. Après trois heures, nous atteignons l'overdose (de cocaïne) et parvenons à un point où nous voulons juste que leur calvaire (et le nôtre) se termine rapidement. Ce qui se produit finalement dans une énorme rafale de projecteurs puissants, nous aveuglant pendant plusieurs minutes. Il est temps pour le public de partir. Après tout, Don Giovanni est allé en enfer, vous aussi !

Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, au Sydney Opera House, jusqu'au 10/09/2008

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Indigestion après le dernier repas de Don Giovanni...

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