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La Sorcière et le Lion - Chapitre I

Dans cet extrait du premier chapitre, j'introduis le personnage principal de la partie de l'histoire se déroulant au XVIᵉ siècle. Agnès Sampson est âgée de huit ans et suit la tradition familiale de commencer sa formation de guérisseuse. Huit ans semblait l'âge approprie pour présenter Agnès au lecteur. C'est la période de l'enfance quand les enfants ouvrent leur esprit à des choses plus adultes, quand les parents et les amis leur enseignent les bases qui formeront leur personnalité durant l'adolescence. Du moins, ce fut mon expérience personnelle.

Je n'ai trouvé aucun enregistrement de la date de naissance d'Agnès. Au moment de son procès (entre décembre 1590 et janvier 1591) les documents contemporains la désignent comme la "Sage Femme de Keith" (Nether Keith, au nord de Humbie, dans l'East Lothian), veuve avec des enfants, et "vivant dans des circonstances tendues". Elle est décrite comme une femme mûre, et j'ai estimé que soixante ans en 1590 serait un âge propice pour une femme en pleine santé durant le siècle. D'où les huit ans en 1538.

Stephan Cooper

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Printemps 1538

 

— Reste près de moi, Agnès, ces bois peuvent être traîtres pour les gens qui ne les connaissent pas.

— Oui, papa.

La fillette de huit ans se déplaçait prudemment à travers la forêt dense, suivant les pas de son père. C'était une journée radieuse. Le matin même, au grand plaisir d'Agnès, son père lui avait annoncé qu'elle allait commencer sa formation de guérisseuse pour poursuivre l'héritage familial. Avant toute chose, elle avait besoin de se familiariser avec les diverses essences végétales nécessaires à la préparation des potions et poudres qu'il utilisait pour soigner ses patients. Et c'est ainsi qu'avait débuté le premier jour de son apprentissage, dans la forêt luxuriante appartenant au domaine de Yester, au sud-est de Gifford.

— Agnès, viens par ici.

— Oui, papa.

— Très bien. Voyons ce que tu as déjà retenu de mes enseignements à la maison. Nous allons commencer par quelque chose de facile aujourd'hui. Sais-tu ce qu’elle est cette plante ? lui demanda-t-il, lui indiquant des buissons à longue tige et aux feuilles vert vif. Ce sont des deanntag! répondit-elle avec fierté.

— Ce sont des deanntag! répondit-elle avec fierté.

— Très bien. En latin, on l'appelle Urtica dioica. Il est important que tu te souviennes des noms latins si tu veux être considérée comme une herboriste et une guérisseuse renommée. Cela produit toujours une bonne impression sur les gens ordinaires, mais également sur la noblesse. Nous sommes les Bothwick, issus d’une longue lignée de Maîtres Guérisseurs ; c'est une question de réputation et de statut.

— Compris !

— À quoi dois-tu faire attention lorsque tu les cueilles ?

— Elles piquent et brûlent. Il faut ainsi faire attention à ne pas les toucher directement.

— Exactement. Se faire piquer n'est pas une chose malsaine, car cela protège des mauvais sorts. Maintenant, que fais-tu si tu te fais piquer ?

— Je me frotte avec ça ! Elle désigna une plante plus petite avec de larges feuilles. Copag ! Ou Rumex obtusifolius. Il faut frotter la brûlure avec la feuille pour apaiser le feu.

— Je suis impressionné ! Je vois que quelqu'un a prêté attention à mes leçons.

Elle lui sourit avec fierté.

— À présent, comment préparons-nous et utilisons-nous les deanntag ?

— Nous devons d'abord les laisser sécher pour qu'elles ne piquent plus. Ensuite, elles peuvent être utilisées comme tisane pour faire baisser la fièvre, ou pour soulager la douleur et les troubles urinaires. Mélangées à du blanc d'œuf battu, elles aident à dormir ; à de la bouillie, elles purifient le sang et soulagent l'indigestion. Enfin, utilisées en cataplasme, elles stoppent les saignements.

— Excellent, mon enfant ! Eh bien ! Nous allons te transformer en maîtresse guérisseuse en un rien de temps. Approche et fais-moi un câlin.

William Borthwick la prit dans ses bras et lui posa un tendre baiser sur le front. Il contempla le visage couleur de lait de la jeune fille, parsemé de taches de rousseur. Il était encore rond, mais il pouvait voir pointer les tout premiers signes de la femme qu'elle deviendrait dans quelques années. Ses yeux vert émeraude lui rappelait sa défunte épouse, arrachée trop tôt par une méchante fièvre, deux ans après la naissance d'Agnès. Tandis que ses longs cheveux roux éclatants, tombant en cascade sur ses épaules, telle une coulée de lave, étaient hérités de son côté. La « marque des Borthwick », une caractéristique rare dans une région où la plupart des gens possédaient les cheveux noirs ou châtains. La « marque des sorcières » prétendaient certains. Mais cela provenait principalement de personnes jalouses de leur compétence héréditaire en matière de guérison. Tu seras une belle sorcière, ma gamine,pensa-t-il, et je suis sûr que tu envoûteras bien des têtes dans les années à venir…

— Très bien, passons à autre chose. Ta tâche pour aujourd'hui est de ramasser autant de pousses de deanntag que tu pourras. Il est déjà un peu tard dans l'année, mais elles n'ont pas encore commencé à fleurir. Donc, cela devrait aller. Utilise ton châle pour les stocker et comme tu t’en souviens si bien, essaye autant que possible de ne pas te piquer les mains. Dans tous les cas, au pire, il y a assez de copag autour pour apaiser n'importe quelle piqûre…

— Père ?

Ses yeux fixaient une haute tour fortifiée émergeant d'un bouquet d'arbres au sommet d'une colline au loin.

— Oui ?

— Quel est ce château au loin ?

— C'est le Château de Yester, ma fille, la maison ancestrale de la famille des Hay de Yester. Lord John, l'actuel propriétaire, est un client bienveillant qui m'a généreusement autorisé à accéder à ses terres pour mes cueillettes.

— Il a l’air effrayant.

— Ça, ma fille, c'est parce qu’il y a trois siècles, il a été construit par sir Hugh de Giffard le Jeune. L'homme était un puissant nécromancien, capable d'invoquer une armée de gobelins pour exécuter ses besognes. La tradition veut que la forteresse n’ait jamais été prise depuis sa construction.

— Est-ce que… le Nécromancien est mort ?

— Il a quitté le monde des vivants depuis bien longtemps. Mais les gens du coin racontent que son âme damnée hante toujours les sous-bois, condamnée à parcourir cette terre pour l’éternité, interdite d'entrer en enfer, car le diable lui-même craindrait son pouvoir… Sa voix s'éteignit dans un murmure à l'oreille de sa fille.

Agnès fixait la forêt et le bâtiment au loin avec effroi, scrutant chaque ombre. Son père éclata de rire.

— Allons, ma fille ! Ce sont des contes de vieilles femmes destinés à effrayer les petits enfants comme toi. Et, même s'il y avait du vrai dans ces histoires, nous sommes au milieu de la journée. Comme tu le sais, les esprits ne viennent que la nuit. Allez, commençons la cueillette. Je serai là-haut, pas loin. Il me faut trouver certaines herbes spéciales pour une commande récente. Nous les étudierons ce soir, une fois de retour à la maison. Sois juste prudente sur les chemins, ils peuvent être traîtres. Et, appelle-moi s'il y a quoi que ce soit.

Il la laissa seule. Elle défit son châle et commença à récolter soigneusement les précieuses pousses de sa main droite protégée d'un chiffon, tout en tenant le grand tissu de laine de sa main gauche. Au bout d'un quart d’heure, son esprit se mit à vagabonder vers l'épaisse canopée la surplombant, percée à certains endroits, laissant filtrer les rayons du soleil qui créaient des cercles de lumière magiques sur le lit de la forêt, traversés de fines particules de pollen flottant doucement entre les arbres, scintillant comme de la poussière de fée. Les insectes butinaient frénétiquement de fleur en fleur, tandis que de petits oiseaux battaient joyeusement des ailes et gazouillaient aux alentours. Plus bas sur la colline, elle pouvait percevoir le son enchanteur d'un ruisseau qui coulait joyeusement. Il semblait difficile de croire que cette vision merveilleuse pouvait être hantée par un être diabolique. Son père avait raison, des contes de vieilles femmes.

— Aie ! S’exclama-t-elle soudain.

Une sensation douloureuse lui traversa la main. Égarée dans ses pensées, elle avait touché par inadvertance la partie la plus épaisse d'une tige d'ortie. Les épines y étaient plus douloureuses que sur les feuilles tendres. Elle déposa soigneusement mis son châle sur le sol et parti à la recherche de feuilles de patience sauvage pour soulager la brûlure. Heureusement, les deux plantes avaient la curieuse habitude de pousser côte à côte, et elle en trouva rapidement. Cueillant trois feuilles, la fillette les frotta sur la tache rouge douloureuse qui se formait sur sa peau, comme son père le lui avait montré à plusieurs reprises. Après quelques secondes, Agnès ressentit les effets calmants de cet ancien remède et se mit à rire de sa bêtise. Elle s'arrêta au son de bruissements de feuilles derrière elle. Tournant la tête, elle se figea sur place. Debout, face à elle, se dressait une imposante silhouette, toute vêtue de noir et enveloppée dans une ample cape sombre. Mais c'était de son visage qu’Agnès ne pouvait se détacher, une vision effrayante émergeant de l'ombre de la capuche. Il était recouvert d’une peau pâle comme la mort, parsemée de taches sombres sur le front et les pommettes, et coupé par des lèvres extrêmement fines. Une large cicatrice courait le long de son côté gauche, interrompue en son centre par un œil trouble. La redoutable créature l'examinait, silencieuse, immobile, tel un spectre tout juste échappé de l'Enfer. Le Nécromancien ! pensa-t-elle aussitôt. La regardant droit dans les yeux, impassible, sa bouche étroite se mit à bouger mécaniquement, et une voix ténébreuse lui demanda — Où est ton père, fillette ? Il cherche papa !pensa-t-elle, prise de panique. Il est venu s'emparer de son âme pour son armée de ses gobelins. Je dois l'avertir ! Elle prit une profonde inspiration afin de reprendre le contrôle de son corps et recula lentement, gardant le contact visuel tout en se préparant à courir. Mais, après quelques pas, son pied droit se prit dans une grosse branche et tomba à terre. À la vue du spectre se déplaçant dans sa direction, elle se mit à crier hystériquement.

— Agnès ! Agnès ! Reste où tu es, j'arrive ! hurla William au loin.

Quelques secondes plus tard, son père arriva en courant à travers les buissons, armé d’un petit poignard, prêt à frapper et à la défendre contre toute menace. Il découvrit sa fille étalée sur le lit de la forêt, au pied de l'apparition sculpturale qui demeurait parfaitement immobile. Il le reconnut immédiatement.

— Robert ?

Il prit Agnès dans ses bras. Elle tremblait et sanglotait, balbutiant. — le Nécromancien, le Nécromancien, il est venu te prendre !

— Tout va bien ma fille, calme-toi. Ne crains pas cet homme, il s’agit juste de Robert, le compagnon le plus proche de Lord Hay. Mes excuses Robert, ma fille n'a jamais eu le plaisir, jusqu’à présent, de croiser ton chemin, et tu sais à quel point tu peux être intimidant.

— Inutile de vous excuser, Maître William. Je suis habitué à ce que les gens me craignent. Certains me surnomment même l'ombre du diable. C'est le juste châtiment de Dieu à l’encontre des mauvaises actions que j'ai commises dans ma jeunesse. Il va sans dire que je ne lui voulais aucun mal.

Robert avait été un mercenaire d’une réputation considérable, plusieurs décennies auparavant, recruté au service de John Haye, le second Seigneur de Yester, pour combattre à ses côtés lors de la bataille de Flodden. Il combattit vaillamment l'ennemi anglais durant l’engagement, mais fut grièvement blessé au cours de la retraite des troupes écossaises, alors qu’il arrachait le fils de son maître au sort subi par ce dernier aux côtés du roi Jacques IV. En reconnaissance de sa bravoure et de son dévouement, le nouveau Seigneur de Yester lui offrit de rester à son service après qu'un William bien plus jeune ait soigné avec succès ses blessures. Mais, malencontreusement, il resta irréversiblement affreusement défiguré

—Cela va sans dire. Il déposa sa fille au sol. Qu'est-ce qui t'amène céans, Robert ?

—Je vous ai cherché toute la matinée, Maître William. Votre fils, de retour dans votre ferme à Humbie, m'a dit que vous vous trouviez par ici. Mon maître vous demande de venir au château immédiatement. Le jeune maître William, son petit-fils, souffre de fièvre depuis deux jours et leurs seigneuries commencent à s'inquiéter.

— Je vais chercher mon cheval. Agnès, récupère ton châle. Nous partons sur-le-champ.

 

***

 

Une demi-heure plus tard, la petite troupe atteignit l'imposante forteresse. Son formidable donjon se dressait haut vers le ciel, entouré de murailles imposantes, faites d’un assemblage de pierres sombres taillées minutieusement. Elle avait été érigée sur une position stratégique, difficile d’accès, même à pied, d'une conception telle que toute armée devait y réfléchir à deux fois avant d’oser l'assiéger. Agnès observait la sinistre construction, autant fascinée qu'effrayée. Seule la magie noire peut bâtir une chose semblable,pensa-t-elle, avant de se signer. Ils franchirent la porte armée d’une lourde herse avant d’accéder à la cour intérieure. Là, le tableau était moins austère. Sur un côté, s’épanouissait un modeste jardin de rosiers en fleurs grimpant le long de la tour principale. À l’opposé, se trouvaient une cuisine, une petite écurie, une forge et les différents logements destinés aux soldats et aux domestiques vaquant frénétiquement à leurs occupations. Le donjon, toutefois, avait l'air encore plus intimidant de l'intérieur que de l'extérieur. Il surplombait les alentours de toute sa hauteur, tel un géant noir sinistre prêt à écraser tout intrus suffisamment inconscient pour l'affronter. Malgré cette atmosphère en demi-teinte, les résidents semblaient sereins et travaillaient avec enthousiasme, leurs visages ne reflétant ni peur ni pression.

William assista sa fille à descendre de cheval puis, accompagné de Robert, se dirigea vers la vaste tour carrée. Au même moment, la porte en bois située au premier étage, en haut de l'escalier, s'ouvrit et un homme d'une cinquantaine d'années, vêtu de vêtements sans prétention, se précipita vers eux. C'était John Hay, troisième Seigneur de Yester.

— Sainte-Mère de Dieu ! dit-il d'une voix rauque. Maître Borthwick, vous êtes enfin là ! Quel bonheur que Robert ait finalement réussi à vous trouver. Nous commencions à être terriblement anxieux.

— Votre Seigneurie sait qu’elle peut compter sur mon aide à toute heure de la journée, répondit William révérencieusement.

Le vieil homme l'embrassa sur les joues vigoureusement.

— Merci, merci d’avoir répondu à mon appel si vite.

Il se tourna vers son fidèle serviteur.

— Et toi, Robert, merci d'avoir localisé notre précieux guérisseur en si peu de temps. Je te suis redevable, comme toujours.

— Vous servir est ma seule récompense, Votre Seigneurie, répondit le colosse.

— Mais qu’avons-nous ici ? Qui est cette ravissante demoiselle qui t'accompagne, William ?

— C'est ma fille Agnès, Votre Seigneurie. Je viens de commencer sa formation de guérisseuse. Et, elle se montre extrêmement prometteuse, je porte beaucoup d’espoir en ses compétences.

— Avec un père comme toi, je n’ai nul doute qu'elle soit vouée à une destinée brillante.

— Allez, ma fille, qu’attends-tu ?

Agnès fit maladroitement la révérence au vieil homme.

— Votre… Seigneurie…, dit-elle d’une voix fluette.

— Je crains que ma fille n’ait éprouvé quelque peur lors de sa première rencontre avec Robert, Lord Hay, et qu'elle n’en soit encore un peu secouée.

— La pauvre enfant. Malheureusement, notre Robert produit rarement une bonne première impression, même si cela peut parfois être avantageux en certaines occasions. Mais c'est un homme bienveillant, doublé d’un cœur noble. Tu n'as rien à craindre de lui, jeune fille. Et, pour apaiser tes émotions, je vais demander à un de mes gens de cuisine de t’apporter quelques biscuits.

— Merci, Votre Seigneurie, répondit Agnès, avant de faire la révérence plus enthousiaste.

— Mais cessons là les civilités. Maître Borthwick, vos compétences sont désespérément requises. Mon petit-fils, né il y a trois mois, souffre affreusement depuis deux jours d'une mauvaise fièvre et d'une vilaine toux qui nuisent à son sommeil. Nous sommes à court d’options et vous représentez mon dernier espoir. Mais, avant de monter, je tiens à vous avertir. Mon fils est parti pour Édimbourg, sur ordre du roi, me laissant seul avec ma femme Elizabeth et ma belle-fille Margaret. Cette dernière, d'un état émotionnel délicat, a passé la nuit en larmes, affirmant qu'un de ses serviteurs avait aperçu la mort marauder dans les bois. Vous savez à quel point elle peut être impressionnable. Et, depuis ce matin, elle passe son temps à prier, implorant Dieu de sauver son enfant. Parallèlement, Lady Yester, qui, comme vous le savez, est née Douglas, et dont la famille, je le crains, n'a pas pris le temps de lui enseigner le tact et la sensibilité nécessaires pour gérer avec diplomatie ce genre de situation, la couvre de remontrances. Je mentirai donc en prétendant que la situation est on ne peut plus normale…

— Ne vous tourmentez pas, Votre Seigneurie, je suis habitué aux humeurs de Lady Elizabeth. Je sais parfaitement comment l’aborder.

Ils se rendirent tous au deuxième étage, jusqu’à la chambre où William trouva le nourrisson couché dans son berceau. Lady Yester se tenait à proximité, contemplant avec exaspération sa belle-fille récitant son livre de prières au milieu de sanglots.

— Pour l'amour de Dieu, Marguerite ! Allez-vous cesser de pleurnicher et vous conduire en femme responsable !

— Comment pouvez-vous manquer… autant de cœur, Mère ? Mon fils… votre petit-fils… se meurt. Et tout ce que vous trouvez à faire… est me réprimander. Vous êtes… vous êtes une femme cruelle ! J'aimerais tant que John soit là..

— Allons, il s’agit juste d’une fièvre bénigne, fréquente chez les nourrissons de cet âge. Cela passera sous peu. Et, pour votre gouverne, sachez que les enfants meurent, Margaret ! J'ai perdu deux des miens, ainsi que plusieurs de mes frères et sœurs. Me voyez-vous pour autant passer mes journées à les pleurer ? Regagnez vos esprits ! Admettons que le pire arrive, vous êtes toujours jeune. Vous aurez bien d’autres occasions d’en avoir.

Sans surprise, à l’écoute de ces paroles « réconfortantes », Lady Margaret se mit à pleurer de plus belle, faisant lever les yeux de Lady Elizabeth au ciel.

— Doux Jésus…

Alors que Lord Yester et Robert décidaient de rester à couvert derrière lui, William, se tenant droit sur le pas de la porte, s'éclaircit la gorge. Remarquant sa présence, Lady Yester se dirigea directement vers le guérisseur avec un large sourire.

— Ah ! Maître Borthwick ! Vous êtes enfin là. Je pense que ma belle-fille a bien plus besoin de votre attention que la fièvre infantile de mon petit-fils. Je suis certaine que vous avez avec vous une de ces merveilleuses potions pour calmer les nerfs.

— Avant toute chose, et avec votre permission, Votre Seigneurie, je vais auparavant examiner l'enfant. Ne serait-ce que pour apaiser la mère.

— Assurément, faites. Je vous en prie, Maître Borthwick.

William s'approcha du berceau et examina attentivement le bébé, touchant sa tête, écoutant son pouls et jugeant l'intensité de sa toux.

— Eh bien, je rejoins Votre Seigneurie. Nous avons là tous les signes d'une fièvre infantile bénigne…

— Ah !

— … mais nous ne devons pas pour autant la laisser s’éterniser. Je vais préparer quelques remèdes pour améliorer l'état du jeune William.

Lady Margaret se précipita à ses côtés.

— Que le Seigneur soit loué, maître Borthwick ! Pouvez-vous sauver la vie de mon enfant ?

— Soyez assurée, Lady Margaret, que sa vie n'est nullement en danger. Toutefois, je ne possède pas avec moi tous les ingrédients nécessaires. Il se tourna vers sa fille. Agnès, j'ai besoin que tu ailles chercher mon coffret, le vert. Tu vois ce dont je parle ?

— Oui, père.

— Alors, vas-y, ne gaspillons pas de temps. Dans l’attente de ton retour, je ferai quelques arrangements dans la pièce.

— Robert, dit aussitôt Lord Yester, prends notre meilleur cheval et accompagne la fillette avec toi. Cela nous fera gagner des minutes précieuses et évitera le risque qu'elle ne se perde dans les bois, ou pire.

— À l’instant, Milord. Viens avec moi, mon enfant.

 

***

 

Un peu plus d’une heure après, Agnès se rapprochait à allure forcée de la forteresse, tenant fermement la taille de Robert, la précieuse boîte méticuleusement attachée autour de la sienne. Ils firent halte dans la cour et se dirigèrent rapidement vers leur destination. Ils trouvèrent William, aidé d'un domestique, en train de suspendre des bouquets d'orties à certains endroits précis de la chambre.

— Tout ceci est-il réellement nécessaire, Maître Borthwick ? demandait Lord Yester.

— La deanntag préserve des mauvais esprits, Votre Seigneurie. Toute précaution est judicieuse à prendre au vu du passé de ce château. Et vous savez combien les fées convoitent les bébés…

— Voici votre coffret, père.

— Ah Agnès ! Juste à temps. Bravo ma fille. Quelqu'un peut-il me procurer de l'eau tiède ?

Il ouvrit la cassette et en sorti plusieurs ingrédients, les plaçant sur une table à proximité. Il les mélangea ensuite savamment avant de mettre les concoctions obtenues dans deux sachets différents. Lady Elizabeth l'observait avec assiduité.

— Allez-vous utiliser de l’aconit, Maître Borthwick ? Il parait qu'elle est radicale contre la fièvre.

— Je ne le recommanderai pas, Votre Seigneurie, à moins que vous ne souhaitiez voir votre petit-fils rejoindre notre Seigneur au Ciel sur l'heure. Un enfant de cet âge n’y survivrait pas, même avec une dose minime…

— En plus d’être cruelle, vous êtes aussi malfaisante ! interrompit sa belle-fille.

— Margaret, si je requiers votre opinion sur la gestion de mes affaires, je vous en ferai part. Concentrez-vous uniquement sur vos prières ; vous semblez y exceller.

— Si vous me permettez, Lady Elizabeth…

— Acceptez mes excuses pour cette interruption, Maître Borthwick. Je vous en prie, continuez

— Comme je m’apprêtais à le dire, j'utiliserai d'abord le thé de Ceinture de Cù Culainn pour la fièvre. Il est bien moins nocif et tout aussi efficace. Une cuillère à café du contenu de ce sachet, diluée dans une tasse d'eau chaude à administrer toutes les cinq heures. Vous devriez en avoir suffisamment pour cinq jours, et d'ici là, la température devrait être tombée. Lui donnant le second sachet, il poursuivit. Préparez un càl deanntag avec celui-ci pour la toux. Cela renforcera le sang de l'enfant. Assurez-vous d'utiliser du gruau bien mou, afin que la bouillie soit facilement digérée. À consommer pendant une semaine.

— Je me conformerai à vos instructions. Vous prenez note, Margaret ?

— Oui, mère…

— Une dernière chose », déclara William. Il sortit de sa boîte, une petite guirlande faite de différentes brindilles et fleurs et la plaça autour du cou du bébé avant de commencer à réciter à voix basse une prière :

De tous les maux qui puissent être,

Au nom du Christ, je vous conjure, Je vous conjure, passez votre chemin ; Avec l’aide des vertus de la messe,

Par la puissance des plaies douloureuses Occasionnées à Jésus sur la Croix,

Dont coula le sang miraculeux Que votre souillure soit purifiée,

Sur la chair et les os Sur la terre et la pierre,

Je vous conjure au nom de Dieu Passez votre chemin !.”

— Cela éloignera de l’enfant tout esprit malfaisant. Je recommande qu'il continue à le porter jusqu'à ce qu'il atteigne sa première année. Il sortit une petite fiole de la boîte. Pour finir, voici pour Lady Margaret. Une pincée à diluer dans une tasse d'eau tiède, juste avant le coucher. Cela l'aidera à dormir. Voilà, mon travail est terminé. Je repasserai dans cinq jours, juste pour m'assurer que tout va bien. Vous devriez commencer à constater une amélioration dès demain matin.

Une fois dans la cour du château, Lord Hay serra chaleureusement la main de William.

— Mes plus sincères remerciements, Maître Brothwick, pour vos paroles rassurantes et votre aide inestimable. Nous vous sommes éternellement reconnaissants. Puis, il se tourna vers Agnès. Et merci à toi aussi, jeune demoiselle. Je pense que ce premier jour d’apprentissage t’a été plus qu’instructif, bien que mouvementé.

— C'est bien vrai, Votre Seigneurie. Merci, répondit-elle avec un grand sourire.

— Ce n’est pas tout. Je souhaite faire en sorte que cette journée soit encore plus mémorable pour toi et, s’il vous sied, Maître William, autorisez-moi de donner à votre jeune assistante ce modeste gage de ma gratitude.

Il offrit à Agnès une petite pochette en cuir. À l'intérieur, se trouvait une broche en or, en forme de fleur de grassette. La jeune fille fit un ‘oh’ silencieux de surprise avec sa bouche.

— Votre Seigneurie ! C'est bien trop ! Nous ne pouvons pas, en toute honnêteté, accepter un présent aussi précieux, s’exclama son père.

— Maître William, je vous en prie, n'achevons pas cette journée sur un malentendu après tant d'années d’amitié sincère. Mon épouse et moi vous sommes reconnaissants, non seulement pour l’aide que vous nous avez apportée ce jour, mais aussi pour les nombreuses fois où vous êtes venu volontairement offrir vos services. Nous insistons.

— Pardonnez-moi, Votre Seigneurie, je n’avais nulle intention de vous offenser. Il va sans dire que je vous suis reconnaissant de votre générosité. Agnès ?

— Merci, Votre Seigneurie ! répondit-elle, des étincelles plein les yeux. Je la chérirai aussi longtemps que je vivrai ! Elle sauta dans les bras du vieil homme et le serra affectueusement.

— Agnès !

— Ne vous formalisez pas, Maître William. Accepte-la de bonne foi, jeune Agnès. Puisse-t-elle te protéger des rancœurs et chagrins. Mais, si tu m’y autorises, je souhaite te demander un petit souvenir en échange.

— Tout ce que vous voulez !

— Ha, ha, ha ! L'innocence angélique de l’enfance. Il faudra t’assurer, jeune fille, de tourner ta langue sept fois dans ta bouche à l'avenir avant de t’aventurer à donner une telle réponse. Certaines personnes pourraient profiter de la situation. Mais, pour ma part, la seule chose que je désire de toi, est une mèche de tes superbes cheveux roux.

— Je vous la donne volontiers ! Elle sortit alors un petit canif d'une de ses poches et coupa une généreuse boucle de sa somptueuse crinière. Pour vous, Votre Seigneurie, offerte de bon cœur.

— Je te remercie du plus profond de mon cœur, Maîtresse Agnès. Le vieil homme glissa sa main droite dans son manteau et en sortit un médaillon en argent de forme ovale. Il l'ouvrit et y plaça délicatement la touffe de cheveux, avant de le refermer et le mettre autour de son cou. — Je conserverai ton présent éternellement près de mon cœur, en souvenir de cette merveilleuse journée. Comme ta broche, je suis sûr qu'elle m'apportera chance et protection. Et, quand j’aurai quitté ce monde, mes descendants continueront à le porter précieusement. Très bien. Robert, escorte Maître Borthwick et sa fille jusqu'à leur maison à Humbie. Il fera bientôt nuit et les routes ne sont pas nécessairement sûres à ces heures.

— Oui Votre Seigneurie.

— Passe donc la nuit avec nous, Robert, ajouta William. Je suis certain que Sa Seigneurie ne verra aucun inconvénient à t’épargner la route jusqu'au matin.

— Assurément ! approuva Lord Yester.

Mettant sa broche en sécurité dans le sac de son père, Agnès s’approcha de l'homme qui lui avait causé tant de frayeur quelques heures plus tôt.

— Puis-je chevaucher avec vous une fois de plus, Maître Robert ?

— J’en serais honoré, Maîtresse Agnès.

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