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La Sorcière et le Lion - Chapitre II

Dans ce chapitre, j'introduis le personnage principal contemporain et les personnages secondaires. Dans mon projet initial, je n'entrevoyais que l'étudiant français en doctorat, la propriétaire écossaise et son neveu. 

Puis, quand la narration prit forme, je me rappelais mon année d'études à l'Université d'Exeter (Devon). Je décidais alors que cela apporterait un plus a l'histoire d'essayer de recréer quelques unes de mes expériences de l'époque. Aussi, j'optais d'inclure quatre personnages supplémentaires inspirés de quelques uns de mes ex-colocataires. 

Je souhaitais aussi souligner la diversité promue par le gouvernement écossais. Il en résulte l'introduction d'une Indienne, une Américaine, un Australien et un jeune trans d'origine grecque. Le Français et l'Écossais sont tous les deux gays. Une combinaison plutôt intéressante, ne trouvez-vous pas ?

Stephan Cooper

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Fall 2024

Le taxi noir s’arrêta sur le côté droit de la route principale. Un jeune homme d’une vingtaine d’années en sortit, posant une large valise et un épais sac à dos sur le trottoir, avant de fermer la porte arrière du véhicule. Son corps allongé et mince était habillé de vêtements décontracté-chics, de différents tons de bleu, chaussé de boots de cuir marron. Il scruta autour de lui de ses yeux ronds couleur noisette, sertis sur un visage ciselé couvert de cheveux bruns coupés courts et délimité par une fine barbe méticuleusement taillée. Tout dans son apparence reflétait une formation supérieure, doublée d’une éducation conservatrice. Le chauffeur abaissa la vitre et l’interpella :

— Droit devant vous se trouvent les Marches de Miss Jean Brodie, également appelées Marches Vennel, ça dépend des personnes. Suivez-les tout simplement, et vous trouverez Brown's Place à mi-chemin, sur votre gauche. Je suis désolé de ne pouvoir vous déposer plus près.

— Ne vous inquiétez pas, je vais me débrouiller. Merci beaucoup pour votre aide. Passez une bonne journée.

— Vous aussi mon garçon. À plus tard ! Le taxi s’éloigna rapidement.

François contempla la dernière partie de son voyage, commencé à Toulouse au petit matin. Encore un dernier effort,pensa-t-il. Il monta les escaliers, transportant sa lourde charge à travers la foule de touristes davantage préoccupés à prendre une photo souvenir de l'une des plus belles vues du château d'Édimbourg que de lui céder le passage. Presque entièrement essoufflé, il atteint finalement Brown's Place. Il fit une pause pour reprendre sa respiration, observant la place devant lui. Elle se composait principalement d'un charmant jardin multicolore, planté au milieu d'un bâtiment géorgien de quatre étages, situé en retrait, et d’un autre d’aspect plus proche d’une maison, sur la gauche. L’espace privé était séparé de la voie publique par une clôture en fer forgé, enchevêtrée de glycines. Il sortit un papier de sa poche arrière. C'était une lettre d'acceptation de l'université d'Édimbourg, avec l'adresse d'un logement qui lui avait été réservé. 3 Brown’s Place.Il scruta les alentours. C'était la porte brune à gauche, en haut des escaliers. Bon sang ! Encore des marches…Il franchit le portillon et, dans un dernier effort, atteignit l'entrée avant de presser la sonnette. Quelques secondes plus tard, une femme d'une soixantaine d'années ouvrit la porte. Elle présentait un visage rond, avec une peau délicate, couleur prune, égayée de joues roses éclatantes, surmontées de pétillants yeux vert clair et entouré de cheveux gris bouclés tombant juste au-dessus de ses épaules. Elle portait une élégante robe longue vert émeraude, resserrée autour de sa taille par une large ceinture blanche, rehaussant subtilement son corps aux courbes opulentes. Des chaussures jaune vif à talons aiguille et un bracelet doré de marque encerclant son poignet gauche, complétaient le tableau.

— Bonjour, puis-je vous aider ? lui demanda-t-elle.

— Mademoiselle MacGregor ?

— Absolument. Madame, s'il vous plaît.

— Oh, mes sincères excuses. Je suis François Levalois. J'ai reçu cette lettre de l'Université d'Édimbourg mentionnant une chambre réservée pour moi ici ?

— Absolument, absolument ! Je vous en prie, entrez !

Il franchit l'entree et traversa un petit couloir pendant que Madame MacGregor refermait la porte derrière lui.

— Allons dans le salon sur votre droite, s'il vous plaît. Nous serons plus à l'aise.

Il entra dans une pièce douillette, meublée de trois grands fauteuils confortables, tapissés de somptueux motifs fleuris, et d'une table basse ronde en acajou placée au milieu. Il y avait une belle cheminée victorienne sur la gauche et la grande fenêtre en face donnait sur le jardin.

— Vous êtes le jeune homme français, n'est-ce pas ?

— Oui, en effet. Je suis désolé d'arriver un peu plus tard que l'horaire que je vous ai donné, mais il y avait de nombreuses routes fermées sur le chemin depuis l’aéroport et le chauffeur de taxi avait beaucoup de difficultés à traverser la ville.

— Je n’en suis pas surprise, avec tous les préparatifs liés au couronnement du prince Charles. Vous avez vraisemblablement entendu dire que pour renforcer l’attachement du pays pour l'Écosse en tant que partenaire égal dans l'Union avec l'Angleterre, il a décidé de se faire couronner deux fois, d'abord à l'abbaye de Westminster, puis sur le lieu où se trouvait l'Abbaye de Scone. À la suite de la cérémonie, il y aura un grand défilé de célébration dans les rues d'Édimbourg. Son organisation provoque quelques petits désagréments dans les rues, j'en ai peur. Mais je vous en prie, asseyez-vous. Vous prendrez du thé ou du café ?

— Du café s'il vous plaît. Avec du lait et un sucre, si cela ne vous dérange pas. Je dois dire que je commence à être un peu fatigué. Ma journée a commencé très tôt.

— Je vais aussi vous apporter des sandwichs. Vous devez être affamé. Du reste, je vous trouve un peu maigre et pâle. Mais, ne vous inquiétez pas, jeune homme, au bout d’un an à mes soins, vous serez robuste et vigoureux, comme un fier highlander !

Sa spontanéité était désarmante.

— Heu… merci. Je vous crois sur parole. Enfin, je pense...

Elle le quitta et revint cinq minutes plus tard transportant un plateau d’argent sur lequel étaient posées deux tasses de café et une assiette remplie d'une pyramide de différents types de sandwiches triangulaires appétissants.

— C’est impressionnant ! Merci ! Mais, je doute de pouvoir manger tout ça, s’esclaffa-t-il.

— Oh, ne vous inquiétez pas, mon cher. Ils ne sont pas tous pour vous, bien sûr. Vous êtes le premier arrivé, et j'attends encore quatre autres étudiants. Un en provenance d’Australie, un d'Amérique, un d'Inde et un de Londres dont il m’a été précisé qu'il était grec.

François a failli s'étouffer avec son café. La taille du logement ne semblait pas suffisamment grande pour accueillir autant de personnes.

— Quatre de plus ! Je vous prie de m’excuser, mais cet endroit est-il plus vaste qu'il n'y paraît ?

Elle gloussa d’amusement.

— Non, non, non. Il ne s’agit que de mon appartement. Les logements des étudiants sont au numéro quatre, la porte bleue de l’autre côté du jardin. Je suis aussi propriétaire du numéro un, ou mon neveu habite, ainsi que du numéro deux, que j'utilise pour stocker différentes choses. Le numéro cinq fait partie l'école privée voisine. Elle l'utilise comme bâtiment administratif. Vous avez peut-être remarqué qu’il y avait une porte, mais elle est en fait scellée et ils ne disposent pas d'accès direct à la place.

François la regarda avec de grands yeux. Elle doit être rudement riche,pensa-t-il.

— Pas autant qu’il ne le semble, répondit-elle, comme si elle avait pénétré ses pensées. Cette fois, il s'étouffa avec sa boisson. C'est tout ce qui reste de la succession de mon arrière-grand-père. Vous voyez, mon père a fait des investissements malheureux à l'époque qui, malencontreusement, se sont révélés désastreux, et nous nous sommes retrouvés très endettés, contraints de vendre une grande partie de nos biens. Nous avons toutefois réussi à conserver ces quelques immeubles, dont j'ai hérité à sa mort, il y a plusieurs années, conjointement avec mon neveu. Mon frère et son épouse sont tous les deux décédés il y a vingt ans, à la suite d’un malheureux accident de voiture. Un drame pour notre famille. Ma pauvre mère ne s'en est jamais remise.

— C'est une histoire tragique. J’en suis désolé, Madame MacGregor.

— Cela fait partie des aléas de la vie, hélas. Mais, appelez-moi Eleanor, s’il vous plait.

La sonnette retentit.

— Excusez-moi.

Elle emprunta le couloir et François l'entendit ouvrir la porte d'entrée.

— Puis-je vous aider ?

— Hé ! Je m'appelle Aditee Sharma. L'Université d'Édimbourg m’a demandé de me présenter ici.

— Absolument ! S'il vous plaît, entrez. Un des autres étudiants est déjà là, je vais vous présenter.

 La porte se referma, suivie du bruit familier d'une valise qui roule. Puis, une jeune femme aux traits indiens entra dans la pièce, vêtue d'un élégant sari jaune vif qui contrastait avec les baskets dont elle était chaussée. Physiquement, elle était de taille menue, d'apparence presque fragile, telle une délicate poupée de porcelaine. Son visage d’une peau lisse au teint de blé était de toute beauté, de forme ovale, paré d’un nez fin et de grands yeux noirs surmontés d’un tilak couleur safran et cerclé de soyeux cheveux de jais ruisselants le long de son dos. Elle s'approcha de François et joignit les paumes de ses mains.

— Namasté. Je suis Aditee.

— Je… je… suis François, répondit-il en bégayant. Ses yeux ne pouvaient se détacher de son allure de déesse.

— Oh, excusez ma tenue traditionnelle. Je n'ai pas pu accéder à ma valise pendant le vol et n'ai pas trouvé ensuite le temps de me changer en vêtements plus modernes. Je dois avouer que mes parents sont assez conservateurs.

— Pas… pas de souci. Vous êtes resplendissante.

— Merci, répondit-elle avec un sourire charmeur. Mais tutoyons-nous !

— Voulez-vous du thé ou du café, ma chère, ou quelques sandwiches peut-être ? demanda Eleanor.

— Avec plaisir. Cependant, sans vouloir paraitre impolie, je meurs d'envie de me rafraîchir et de me changer pour des vêtements frais. Le voyage a été interminable depuis Calcutta.

— Mais bien sûr, ma chère. Où sont mes manières ? Suivez-moi, tous les deux, je vous emmène à côté.

François saisit ses bagages et regagna la sortie où il remarqua un étrange symbole sur le dos de la porte. Un pentagramme ! Il avait été dessiné à l'intérieur d'un cercle, dans un style néopaïen, mais avec une intention manifestement ostentatoire.

— Ouvrez donc la porte, François. Elle n'est pas verrouillée.

Ils traversèrent le jardin, jusqu'à l'entrée du numéro quatre. Madame MacGregor distribua à chacun un jeu de clés.

— La clé la plus courte est pour les deux serrures de la porte d'entrée. La plus longue est pour ouvrir vos chambres respectives. Aditee, la vôtre est au premier étage, à droite de l’escalier. La porte indique Sriramachakra. Tandis que la vôtre, cher François, se trouve au deuxième étage, au fond du couloir de gauche. J’ai choisi Triquetra pour vous. Elle gloussa. Désolé, je suis férue de symbolisme, comme vous l'avez peut-être remarqué plus tôt. J'ai essayé d'attribuer à chacun de vous un symbole en rapport avec votre nationalité. Quoi qu’il en soit, mon cher, vous êtes le premier doctorant que j’accueille. J'ai ainsi effectué quelques travaux de rénovation et d'amélioration de votre logement durant l'été, et vous vous verrez que votre chambre est un peu plus spacieuse que les autres. Je me suis dit qu'avec vos recherches, un peu d'espace supplémentaire serait plus que bienvenu. Et, aussi, vous acquittez un loyer davantage élevé, ce qui le justifie encore plus. Cela semble plus juste au final, du moins c'est comme ça que je le conçois. Mais, ne vous inquiétez pas, chère Aditee, je suis sûre que vous trouverez votre logement très confortable. Très bien, je vous laisse vous installer tous les deux. Les autres devraient ne pas tarder, je pense. Nous nous retrouverons tous à 18 h 45, dans la salle commune qui se trouve sur votre droite en entrant. En attendant, amusez-vous bien !

Puis elle retourna chez elle en chantonnant gaiement. Aditee ouvrit la porte et ils entrèrent tous les deux. — WOW ! s’exclama-t-elle. L'endroit semblait encore plus grand à l'intérieur qu'à l'extérieur. Devant eux se déroulait un escalier en bois massif menant aux étages supérieurs. Sur la gauche, ils pouvaient apercevoir une vaste cuisine, avec des appareils modernes et une longue table capable d'accueillir jusqu’à dix personnes. À droite, la « salle commune » ressemblait davantage à un décor destiné à une série historique du XIXᵉ siècle. Comme pour la cuisine, une dizaine de personnes pouvaient aisément s'asseoir sur les larges fauteuils recouverts de velours vert foncé, disposés sur un parquet ciré, au milieu de murs lambrissés. La pièce était décorée de portraits de différents personnages datant de plusieurs époques et de discrets lampadaires en bronze. Il y avait une table basse ovale en ébène au centre, ainsi qu’une large cheminée en pierre sculptée au fond. Enfin, sur le côté droit, les fenêtres s'ouvraient sur le jardin.

— Eh bien, je ne m'attendais pas du tout à ça ! déclara Aditee.

— Moi non plus, je dois dire. Mais, avant de pouvoir explorer davantage, nous devons encore gérer… ceci. François désignait nerveusement les escaliers leur faisant face.

— Oui, effectivement. Allez, allons-y ensemble…

— Je peux vous donner un coup de main ?

Ils sursautèrent de concert au son de la voix s’exprimant derrière eux. Un jeune homme de taille moyenne, au corps ferme, vêtu tout de noir de baskets, d’un jean moulant et d’un t-shirt ample à manches courtes, légèrement taché de peinture. Ses mains étaient tatouées ; un dharmachakra sur l’une, et un arbre de vie celtique sur l'autre. Un troisième était visible le long de son bras droit, représentant un motif celtique élaboré, dessiné sur sa peau laiteuse. François contempla de plus près la surprenante apparition. Il avait un visage très séduisant, avec une mâchoire carrée et un nez grec, surmonté de cheveux frangés éclatants, couleur de feu. Mais ce qui captivait le plus le jeune Français était ses yeux. Ils étaient hypnotiques, envoûtants, d'une couleur exceptionnellement claire, comme le bleu d’un glacier. Il ne pouvait en défaire son regard. Ils semblaient le percer, jusqu’aux tréfonds de son âme. Il se sentit soudain mal à l'aise, incapable de bouger ou de dire un mot.

— Désolé de vous avoir fait peur. Je suis Callum, le neveu d'Eleanor. Je travaillais dans la cuisine quand je vous ai entendu entrer tous les deux.

— Salut Callum. Je suis Aditee, et voici François. C'est sympa de nous offrir ton aide. Avec plaisir ! Elle le dévorait des yeux, comme s’il s’agissait d’une part de gâteau appétissante.

— C’est parti, alors, répondit-il avec un sourire.

— François ? Aditee le regardait, indécise. Allo François ? Ici la Terre.

— Heu… quoi ? Hum, désolé, mon esprit s'est juste égaré, je pense…

— Vraiment ? elle le regardait suspicieusement. Allez, montons !

Après avoir déposé ses bagages au premier étage, les deux jeunes hommes continuèrent jusqu’à l'entrée du logement du Français. En ouvrant la porte, François réalisa qu'Eleanor n’avait pas exagéré sa taille. C'était un véritable appartement, composé d'un petit salon, avec une cheminée en marbre, meublé de deux fauteuils et un tapis exotique sur parquet, d’un bureau fonctionnel, agencé de plusieurs étagères intégrées au mur et d’un secrétaire antique ; et enfin d’une chambre séparée, incluant un grand lit douillet. François était émerveillé.

— Il y a une petite salle de bain attenante derrière la porte bleue, à droite en entrant dans la chambre. Je l'ai aménagée moi-même le mois dernier. Je pensais que cela te donnerait un peu plus d'intimité en cas de besoin. Bien sûr, tu peux aussi utiliser la salle de bain principale située à cet étage, elle dispose d'une grande baignoire de style victorien.

— Je… je ne sais pas quoi dire. Je ne m'attendais pas à tout ça.

— Eh bien, ton loyer est plus important, donc un peu de luxe supplémentaire semble approprié.

— Je ne sors pas l’argent de ma poche, c’est l'Université qui paye.

— C’est quand même déduit de ton allocation mensuelle. Donc, d'une certaine manière, tu y contribues.

François regarda Callum avec deux grands yeux excités.

— Est-ce que la cheminée fonctionne ?

— Bien sûr ! Je l'ai testée moi-même il y a deux semaines. De douillettes nuits d’hiver en perspective, si l'occasion se présente…, déclara-t-il avec un clin d'œil.

Le visage du Français s’empourpra.

— Eh bien… nous verrons à ce sujet. Merci beaucoup de m'avoir aidé avec mes affaires. J'ai l'impression d'avoir passé les douze dernières heures à les traîner partout.

— De rien. Parfait, si tout est ok, je vais finir ce que je faisais dans la cuisine, pour qu’elle puisse être utilisée dès ce soir.

— Bien sûr, je t’en prie.

— Assure-toi d'être en bas à l'heure, ma tante ne tolère pas les gens en retard.

— Je serai pile à l’heure.

Une fois seul, François contempla de nouveau ses quartiers d'habitation. C’était l'endroit idéal pour s'isoler en cas de besoin. Il avait eu un peu peur lorsque les services du logement de l'Université l'avaient informé qu’ils ne pouvaient malheureusement pas lui fournir d'habitation seule, à cause de la demande accrue cette année. Mais il était désormais plutôt soulagé et reconnaissant.

l commençait à déballer ses affaires quand il entendit quelqu'un frapper. Il ouvrit la porte et se figea de stupéfaction. C'était Aditee, ou, du moins, quelqu’un qui lui ressemblait. La jeune femme était radicalement transformée. Elle portait des chaussures rangers sombres, une paire de jean noir troué et un t-shirt heavy metal imprimé de symboles sataniques. Ses lèvres étaient colorées de rouge à lèvres noir, ses cheveux étaient attachés en queue-de-cheval, et il y avait une ligne de six piercings sur son oreille droite. Il la reconnaissait à peine.

— Aditee ?

— Ben oui ! Quoi ?

— Tu as l'air… différente.

— C’est cool, non ? Ouaiiis ! Fini avec ce terrible sari conservateur. Liberté, mec !

Il éclata de rire.

— Ok, je vois.

— C’est dément, mec ! C'est une super garçonnière qu’ils t’ont donnée. Madame MacGregor ne se moquait pas de toi quand elle assurait que tu possédais le plus grand logement. Le mien est sympa aussi. Et il y a un lit à baldaquin ! Tu y crois toi ? Trop cool ! Elle sautait de joie sur place. Alors, c’est quoi l’histoire entre Callum et toi ?

— Je... de quoi parles-tu ?

— Oh, allez ! Tu crois que je n'ai pas remarqué la transe zombie en bas ? Tu es gay ? C’est pas un problème d’être gay. Tu penses qu'il l'est aussi ? Parce que s'il ne l'est pas, tu peux aller te cacher, Monsieur, pas touche !

— Je… je n’en sais rien. Pourquoi… pourquoi tu me demandes ça ?

— Ok, ok. Tu es du type introverti, évidemment. Je ne t'embarrasse pas plus. Dis-moi, je me demandais, il est juste 15 h 00. Que dirais-tu d’aller faire un tour du coin jusqu’à 18 h 45 ?

Il considéra sa proposition pendant quelques secondes. — Entendu. Donne-moi juste dix minutes pour me changer.

— Génial !

Il se dirigea vers la chambre pour y prendre des vêtements pendant qu'elle s'asseyait dans l'un des fauteuils.

— Qu'est-ce que tu fais ? l’interrogea-t-il.

— Je t'attends, pardi !

— Tu penses bien que je ne vais pas me déshabiller devant toi !

— Tu es gay, c’est quoi le souci ?

— Dehors !

Elle sortit en ricanant.

***

Aditee et François arrivèrent dans la salle commune à 18 h 40 précises, après une agréable après-midi passée à flâner dans la vieille ville. Les trois autres étudiants étaient déjà là. Il y avait une jeune femme noire, très élégamment vêtue de vêtements et de chaussures de marque, venant indéniablement d'une famille aisée. Elle était assise jambes et bras croisés, ses grands yeux sombres semblant passablement ennuyés au milieu de son visage rond et de ses longs cheveux noirs, noués en fines tresses regroupées en un chignon soigné. À côté d'elle, se tenait un jeune homme d'origine asiatique. Sa tenue était bien plus décontractée, composée d'un t-shirt bleu, d'un short couleur sable et portant des tongs aux pieds. Il devait mesurer dans les un mètre quatre-vingt-quinze, son torse était taillé en forme de V, sculpté par de longues années de natation. Il leur sourit quand ils entrèrent, les fixant de ses yeux bleus en forme d’amande encadrant un nez étroit pointu, la tête recouverte d’un amas de longs cheveux bruns hirsutes aux pointes décolorées, tombant sur les épaules. Enfin, assis sur la droite, se trouvait un jeune homme potelé de petite taille. Il portait des vêtements amples en lin avec des chaussures en cuir ouvertes. Son visage ovale était enfantin, avec une barbe fine autour du menton, un petit nez délicat surmonté d'yeux marron pétillants et de cheveux châtains coiffés à la militaire.

Les deux amis de fraîche date se présentèrent et s'assirent l'un à côté de l'autre plus au fond. C’est alors que Madame MacGregor entra, accompagnée de son neveu.

— Bonsoir à tous. Soyez les bienvenus. Je suis votre hôte, Madame MacGregor, comme vous le savez désormais. Mais, s'il vous plaît, appelez-moi Eleanor. Je suis ravie de vous accueillir chez moi, dans l'un des quartiers les plus emblématiques de notre belle ville, et j'espère que vous apprécierez votre séjour parmi nous lors de cette année universitaire, ainsi que celles qui suivront. Je vous présente mon neveu, Callum. N'hésitez pas à le contacter pour une quelconque réparation, il est prodigieusement doué de ses mains. La plupart du temps, il se trouve dans son appartement, au numéro deux, juste sous l'escalier menant chez moi. Il est également un guide confirmé qui, si vous le souhaitez, vous fera visiter la vieille ville afin d’en dévoiler ses secrets les plus intimes, mais aussi les plus sombres. Cela en vaut la peine, je vous le garantis. Et, pour ceux d'entre vous que cela intéresserait, c'est un cartomancien et un chiromancien accompli.

— Tatie, s'il te plaît...

— Allons, mon chéri ! Il n'y a pas à avoir honte de nos activités. Ai-je mentionné qu'il a vingt-trois ans et qu'il est célibataire ?

— ...

“Alright, alright, I will say no more. Right, let us move on to more practical matters. There are a few rules of conduct I insist you abide by while living here. Do not be scared; you have not entered some penitentiary or convent. I insist that all major noises cease between 11.00 pm and 7.00 am. This is for the convenience of all residents. There are sufficient technologies available to respect everyone’s privacy, I believe. You will notice several bins in the utility room beside the kitchen. Edinburgh Council imposes them. Large greens are for recyclable materials, small ones for food waste, and tall grey ones for general waste. Simple! A cleaner comes in every Wednesday. Make sure your respective rooms are accessible and tidy on that day, so he can easily carry on with his duties. There are one bathroom and two separate toilets on each floor. Their use is entirely yours for organising. As you may have noticed, there is sufficient space in the kitchen and communal room to accommodate up to ten people. This means you are more than welcome to have guests around, provided you inform your co-residents and they follow the general rules, especially the 11.00 pm one. Same recommendations regarding the small rooftop accessible by the main staircase. Very convenient for watching New Year’s fireworks,’ she added with a wink. “The fireplace here is fully functional, and I supply the firewood at will. The kitchen is equipped with appliances that come in pairs to avoid waiting too long when preparing your meals. There is also a selection of local takeout options in one of the drawers. I have a supermarket delivery every Thursday. Feel free to add your grocery list to mine. Just notify me by Wednesday noon. Finally, you may also have noticed the absence of a television in this room. Past experiences have taught me that it brings more disturbance than anything else among residents, and I eventually decided to remove it. However, you are free to install your own television set in your assigned rooms. They all come with all basic connections, cable, and Wi-Fi. All this is included in your rent, so no registration is required, except for the television licence you must pay individually. Callum will provide access codes and help you set things up if you are not technology skilled, like me. Oh! Before I forget about it. We have a resident house cat on the premises. His name is Merlin. While he mostly spends his time at my place, he may sneak into yours. He is very gentle and non-aggressive. You all have stated on your application form that you are not allergic to pets. Still, I can appreciate this could be a disturbance. So, feel free to chase him away if he becomes a bother. Gently, of course.  Right! Any question?”

Ils restèrent tous silencieux.

— Magnifique ! À présent, comme vous allez tous vous côtoyer pendant plusieurs mois, je pense qu’il serait profitable de vous présenter brièvement, afin de briser la glace. Commençons par vous, jeune fille, dit-elle, pointant du doigt l’étudiante sur sa gauche.

— Bonsoir, je m'appelle Aliyah Jones, débuta-t-elle, dans un accent américain chic de la côte est. J'ai dix-neuf ans, je viens de Roxbury, dans le Massachusetts. Mon père est l'un des meilleurs avocats pénalistes de Boston et ma mère est femme au foyer. J'ai deux frères aînés, l'un étudie le droit à Harvard et le second l’ingénierie à Yale. Et, aussi, une sœur cadette encore au lycée. Je suis venu à Édimbourg pour commencer une maîtrise en histoire de l'architecture et du patrimoine.

— Il y a-t-il une raison particulière pour laquelle vous avez décidé d’étudier à Édimbourg, au lieu de rester en Amérique, ma chère ? demanda Eleanor.

— Un de mes professeurs, qui a émigré d'Écosse il y a quelques années, me l'a fortement recommandé, car je voulais étudier à l'étranger tout en restant dans un climat tempéré. De plus, ma famille a quelques ancêtres écossais.

— C'est un motif plus que raisonnable. Et votre professeur est une personne particulièrement avisée de vous l’avoir recommandé. Très bien, suivant.

Le jeune australien pris la parole.

— Salut les amis, je suis David Lee. J'ai aussi dix-neuf ans et je viens du quartier de Manly, dans la merveilleuse ville de Sydney, en Australie. Mes parents possèdent leur propre entreprise de fabrication de vêtements de sport. Ma mère est née en Thaïlande et mon père est, je cite, de « pur-sang australien ». Je suis un enfant unique et je suis venu ici pour étudier une maîtrise en archéologie, médiévale. J'adore les châteaux !

— Et tu as amené ta planche de surf aussi ? questionna Aditee d’un ton comique.

— Bien entendu, mais elle a été saisie par les douanes à la frontière. Ils m’ont déclaré que je n’étais pas autorisé à introduire de la drogue dans le pays.

— Très drôle ! J’adore !

— Serviteur. À ton tour, il me semble ?

— Effectivement. Salut à tous. Je m'appelle Aditee Sharma. J'ai dix-neuf ans et je viens de Calcutta, en Inde. Mon père est membre du Parlement indien, pour le BJP, passez-moi vos commentaires, et ma mère est la directrice générale d'une grosse société de négoce de thé. J'ai deux autres sœurs, au grand damne de mon père, qui sont toutes deux mariées à des hommes fortunés et vivent heureuses. Du moins, c’est ce qu’elles prétendent. Je suis ici pour étudier une Licence en Sciences biologiques, spécialisée dans le domaine des plantes. Oh, et au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, je suis un grand fan de heavy metal.

— Et tu es venue avec ton éléphant ? demanda David.

— Figure-toi que j’en avais très envie, mais malheureusement, je n'ai pas trouvé le moyen de le caser dans ma valise.

— Allons donc ! Tu dois pourtant bien savoir comment mettre un éléphant dans une valise. Tu l'ouvres, tu le plies à l’intérieur et tu fermes.

— Tu es vraiment un mec très drôle ! Tape-m’en cinq ! Ils clapèrent leurs mains à l'unisson. Bon, à ton tour, François.

— Bonjour à tous. Je m'appelle François Levalois. J'ai vingt-cinq ans. Je viens d'une petite ville, près de Toulouse, dans le sud-ouest de la France, appelée Pibrac. Ma mère est décédée il y a trois ans d’une longue maladie et mon père vient de prendre sa retraite d'ingénieur civil. Je suis ici pour préparer un doctorat en histoire de l’Écosse, plus précisément sur la période de la Réforme. Durant les règnes de Mary Reine d’Ecosse et de son fils Jaques VI, pour ceux qui ne le savent peut-être pas. Je suis aussi fils unique.

— Le premier mari de Marie s'appelait François, n'est-ce pas ? l’interrogea le neveu d'Eleanor.

— Tu as entièrement raison, Callum. François II, plus précisément. Et il faisait partie de la dynastie des Valois, d'où mon prénom. Mes parents ont toujours eu un sens de l'humour particulier...

— Et vous, mon cher ? demanda Eleanor en regardant le dernier d'entre eux.

— Salut. Je m'appelle Alexis Nikolaou, mais vous pouvez m'appeler Alex. J'ai dix-neuf ans et je viens de Londres. Mais je suis né sur l'île d'Andros, en Grèce. Mes parents ont divorcé quand j'avais trois ans, puis ma mère a déménagé au Royaume-Uni pour vivre avec mon beau-père qui travaille pour une entreprise numérique. Elle est femme au foyer et s'occupe de mon jeune demi-frère. Je suis venu à Édimbourg pour étudier une Licence en Psychologie. Je suis un homme transsexuel, végétarien, et je m'identifie par il/son/lui.

— Jésus ! soupira Aliyah en roulant des yeux, est-il vraiment nécessaire que nous soyons bombardés de tous ces détails intimes ?

— Je pense qu'il est important que les choses soient claires dès le départ, répliqua Alex, d’un ton agacé.

— Et à juste titre, mon cher, conclut Eleanor. Nous apprécions tous votre franchise. Très bien, merci à tous. Je suis certaine que vous êtes tous fatigués par vos longs trajets et impatients de vous installer avant de vous reposer. J'ai pris la liberté de préparer un ensemble de mets délicieux, dont quelques végétariens, que vous trouverez à votre disposition dans la cuisine. Cela vous évitera d’avoir à cuisiner ce soir. Et, pour ceux d'entre vous que seraient intéressés, les célébrations du couronnement commencent ce week-end avec une parade tout écossaise. C'est une occasion unique de découvrir notre belle culture. Une nouvelle fois, j'espère que vous apprécierez votre séjour ici et vous souhaite bonne chance dans vos études.

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