Avant de prendre la décision de m’installer en Écosse, j’avais effectué trois séjours dans le pays par le passé : deux à Édimbourg et un à Inverness et ses environs. Pas-grand-chose, vous me direz, mais suffisamment pour être captivé par sa nature sauvage à couper le souffle, sa riche culture et la chaleureuse hospitalité des Écossais.
Lors de ces séjours, j'ai suivi les itinéraires que la plupart des touristes suivent : visites de vieux châteaux, palais et demeures hantées, tour du Loch Ness, de distilleries de whisky et autres lieux d’intérêts touristiques. Vous savez, toutes ces choses sur lesquelles nous, étrangers, avons tendance à fantasmer, largement influencés par les romans, les séries télévisées et les films dont nous peuplons nos vies.
Puis, vient l'heure des adieux et nous quittons ce pays de contes de fées la tête remplie d'images et d'histoires de tous les endroits que nous avons explorés, rêvant de revenir un jour pour en découvrir encore plus. Et, au fil des années, le temps nous manque. Généralement, parce que nos vies continuent, avec ses hauts et ses bas, ou que nous sommes trop occupés par nos familles ou notre travail, et parce que notre belle planète regorge de tant de merveilles qui restent à découvrir.
Mais, pour certains, comme moi, la graine insidieusement plantée dans notre mémoire germe discrètement, et, tel un arbre, pousse lentement dans le sol, tapissant notre esprit, s'enracine silencieusement dans un de ses recoins, ses branches s'étendant juste suffisamment pour capter un peu de notre attention à nos moments perdus.
C’est en 2020 que mon existence a pris un tournant décisif. Après avoir traversé trois années difficiles, tant sur le plan personnel que professionnel, j'ai pris la décision de faire une pause dans une vie qui ne correspondait plus à mes attentes. Mais où aller ? C'est alors que s’est rappelée à moi cette graine perdue dans les profondeurs de mon esprit, là-bas dans les pâturages de ma mémoire, et j'ai pris conscience de l’arbre en lequel elle s’était développée à travers les années, plus imposant que je ne l’avais réalisé. Puis certaines de ses feuilles se sont détachées et ont flotté dans la brise de mes souvenirs, ramenant des images inspirantes de châteaux féroces, de landes sans fin, de montagnes majestueuses, de lacs mystérieux et autres lieux mystiques que j'avais presque oubliés. Sans hésitation, entre deux vagues pandémiques, j'ai tout emballé et ai déménagé de Londres à Édimbourg avec la ferme intention d'y commencer une nouvelle vie. Ce n'était pas une décision facile, je n’y connaissais personne et laissais derrière moi un travail confortable, mes collègues et mon petit cercle d'amis. « Un coup de tête, tu reviendras », m'ont dit certains, « on parie que tu ne te feras pas au climat », m’ont dit d'autres, étant originaire du Sud-Ouest de la France. Quelques semaines seulement après mon arrivée, la deuxième vague de Covid-19 débuta et je me retrouvais confiné à l'intérieur de la ville. Pas très prometteur comme début, n'est-ce pas ? Profitant du temps libre qui m’était offert involontairement, j'ai commencé à écrire mon premier roman, une histoire fondée sur une vision futuriste du monde débutant en 2057. Entre deux sessions d'écriture, j'ai erré dans la vieille ville, dans les quartiers plus récents comme New Town et Water of Leith, entre autres, découvrant des lieux hantés oubliés, glanant, de-ci, de là, des mythes locaux moins populaires et des contes folkloriques éclipsés, aidé de quelques livres et guides, et des connaissances inépuisables du premier ami que je rencontrai.
C’est durant une de ces pérégrinations, alors que j'errais sans but sur l'esplanade du Château d'Édimbourg, que quelque chose de particulier attira mon attention, faisant le coin avec la rue de ‘Castlehill’. C'était une fontaine murale en fonte, décorée de deux visages regardant dans des directions opposées, l’un menaçant, l’autre serein, enveloppés de différentes plantes et d’un serpent lové autour. Sur mon plan, il était indiqué ‘Puit des sorcières’. Une plaque plus haut précisait :Cette fontaine, conçue par John Duncan, R.S.A., se trouve à proximité du site sur lequel de nombreuses sorcières ont été brûlées sur le bûcher. La tête menaçante et la tête sereine reflètent le fait que certains ont utilisé leurs connaissances exceptionnelles à des fins maléfiques tandis que d'autres ont été incompris alors qu’ils ne souhaitaient que le bien de leurs semblables. Le serpent est la double représentation du mal et de la sagesse. La digitale pourprée met encore plus l'accent sur la double utilisation de nombreux objets communs.L'endroit est si imperceptible qu'on le remarque à peine, surtout lors d'une journée touristique particulièrement chargée. Sorcières ? me demandais-je. L'Écosse n'était pas vraiment le premier endroit que j’aurais associé avec elles. Fées, fantômes, créatures mythiques, oui. Mais les sorcières ? J’associais davantage le mot au folklore irlandais et européen continental, ou à Salem en Amérique. Bien sûr, je me rappelais bien cet épisode de la série télévisée Outlander où l'une des protagonistes, Geillis Duncan, est brûlée vive pour pratique de la sorcellerie, après une parodie de procès. Mais j'avais plus décrypté la scène comme une dramatisation de l'histoire qu’une réalité historique. Néanmoins, résolument curieux, je décidais d’effectuer quelques recherches sur le sujet et réalisais rapidement à quel point mes préjugés étaient faux. Il s’avère que pendant près de deux cents ans, l'Écosse a été le théâtre d'une succession de chasses aux sorcières à grande échelle. La plupart des chercheurs estiment qu'entre 1563 et 1736, entre trois et quatre mille personnes ont été accusées de sorcellerie, avec probablement près de deux mille cinq cents finissant dans les flammes ou les mains du bourreau, la proportion de femmes représentant environ 75 % du total. Rapportée à l’ensemble de la population de l'Écosse à l'époque, estimée aux alentours d’un million, cette proportion est choquante. Tout cela sous l’impulsion d’un seul homme, le roi Jacques VI d'Écosse, futur roi Jacques Iᵉʳ d'Angleterre, obsédé par l'existence de forces maléfiques surnaturelles complotant contre lui.
La première grande chasse aux sorcières dans les annales du pays du pays a été le tristement célèbre procès des sorcières de North Berwick, qui s’est déroulé entre 1590 et 1591. Selon les récits de l’époque, environ deux cents personnes ont été arrêtées, dont soixante-dix ont été torturées et exécutées. Parmi ces victimes, figurait une figure marquante : Agnès Sampson. L'histoire que vous êtes sur le point de lire est tirée de différentes chroniques contemporaines de sa vie, certaines plus exubérantes et ridicules que véritablement authentiques. Et bien que la plupart des événements et des personnages du XVIᵉ siècle formant le scénario soient historiquement corrects, ils ont été romancés à des fins de dramatisation.
Je dédie ce livre à ceux et celles qui ont été incompris alors qu’ils ne souhaitaient que le bien de leurs semblables..
Stephan Cooper, Edimbourg, septembre 2021