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Livre I : Le Serviteur de la Lumière - Les 3 premiers chapitres

Alors que je commençais à travailler sur le second livre de la saga en 2022, il m'apparut rapidement que la version de 2020 du texte nécessitait plusieurs corrections et que ma décision de ne mettre que le premier chapitre en ligne n'était pas la bonne.

Aussi, je mis de cote le travail en cours et revis le texte original.

Voici donc, pour votre plaisir, la version revue et corrigée des trois premiers chapitres.

 

PART ONE

Innocence

1

 

— Monsieur le Président ?

— ...

La voix résonnait doucement.

— ... Oui ?

— Nous arrivons à Strasbourg, Monsieur le Président.

— Merci, Barnabé... Excusez-moi. J'ai dû m'assoupir. Vous auriez dû me réveiller plus tôt.

— Vous avez une journée importante devant vous, Monsieur le Président. J’ai préféré vous laisser vous reposer un peu. Par ailleurs, vous avez besoin de toutes vos forces. Surtout avec... Barnabé marqua une pause. Il était préférable de laisser certaines choses de côté, surtout aujourd’hui.

Le TGV ralentit tandis que les premiers faubourgs de la capitale alsacienne défilaient par les vitres du wagon. La voix du contrôleur se fit entendre, informant les passagers de l'entrée en gare dans les cinq prochaines minutes et les remerciant tous d’avoir voyagé sur leurs lignes. Pierre-Antoine Lascombes, Président de la République française, regarda machinalement son holophone. L'écran 3D afficha un texto :Tu vas bien ? Je pense à toi.Il répondit hâtivement.Tout va bien. Impossible de discuter pour le moment. Je viens d'arriver. J'appellerai plus tard.

Ses pensées vagabondèrent. Plus qu'un jour mémorable, c'était un jour crucial. Un jour que l'Europe n'avait pas connu depuis des décennies. Un nouveau chapitre de sa longue histoire, aux conséquences décisives pour ses États membres et leurs populations. Les années d'incertitude étaient terminées. Give me just enough time to carry on long enough to witness some achievements,plaida-t-il intérieurement. Le temps était compté.

L'arrêt brutal du train le sortit de son errance intellectuelle. Les gardes du corps prirent position et l'entourage présidentiel se mit en mouvement tout en conservant un œil attentif sur l'homme d'État. La tension ambiante était palpable.

— Quels sont les arrangements, Barnabé ?

— Mesures de sécurité standard comportant la gare en verrouillage complet, voitures blindées avec escorte policière nous attendant à la sortie et blocage des routes le long du parcours jusqu'au Parlement.

— N'est-ce pas un peu trop extrême ?

Vous n'êtes pas le seul chef d'État à arriver en train, et je ne devrais pas avoir à vous rappeler les récentes menaces de mort que vous avez reçues. Rien que sur le trajet jusqu'ici, le train a été arrêté trois fois...

— Je sais, je sais…

— … et nous ne sommes pas à l’abri d’autres perturbations. Même après trois ans, les tensions et les rancœurs persistent.

Brave Barnabé, constamment attentif aux détails et ferme dans ses convictions.— Oui, en effet... L’écho des ignobles accusations du leader de l'opposition, Charles Le Guen, résonnait encore dans l'esprit du président. […] une trahison inacceptable de l'intégrité territoriale de la France ! Un coup de poignard dans le dos des vaillants soldats ayant héroïquement sacrifié leur vie durant la Première Guerre mondiale pour préserver la souveraineté de notre nation ! […]Ces mots étaient répugnants. Je ne suis pas un traître ! pensa-t-il. C'est la meilleure issue envisageable. L’enjeu va bien au-delà de quelques fantasmes nationalistes personnels..

Le chef de la sécurité s'approcha de lui. — Monsieur le Président, encore cinq minutes et nous pourrons descendre. Tout semblait fonctionner par cinq minutes aujourd'hui...

La délégation française et son escorte progressaient peu à peu le long du boulevard de Dresde. Trop lentement au goût du président. Pierre-Antoine promena un regard distrait sur la foule hétéroclite amassée des deux côtés de la route pour entrevoir les différents cortèges. La vue de cette multitude applaudissant et dansant en cette journée radieuse de mars, brandissant des drapeaux et des messages de soutien, donnait du baume au cœur. Toutefois, il pouvait apercevoir, de-ci de-là, de petits groupes d'opposition affichant des slogans haineux contre les chefs d'État et de gouvernement.

Avec le recul, la campagne du référendum européen avait représenté un processus fastidieux et épuisant pour tous les États membres. Les extrémistes de part et d'autre du clivage politique exacerbaient les antagonismes, et d'innombrables incidents, parfois mortels, eurent lieu durant huit mois précédant le vote. La situation internationale ne faisant qu’empirer les choses. En définitive, le peuple avait décidé : la motion avait été approuvée par 53,98 % des voix deux ans auparavant. Bien que le résultat fût en deçà des prévisions des sondages, il restait suffisant pour son adoption, une simple majorité absolue étant requise. Le référendum fut organisé à l’échelle de l'Union, et non dans chaque État-nation, afin de présenter un front uni au monde extérieur et éviter de renouveler le scénario de certains précédents historiques. Des mots tels que manipulation,, fraude et imposture éructèrent de la bouche des extrêmes de tout bord. Des manifestations anti-Union, parfois violentes, secouèrent le continent. Mais, au bout du compte, l’évidence s’imposa, même si l'ensemble du processus faillit échouer.

Même après ce succès initial, le cycle de négociations suivant s'avéra difficile et laborieux. Certains membres de l'UE ne prirent pas au sérieux la volatilité internationale croissante, conséquence de la déstabilisation des États-Unis et du Moyen-Orient, ni leurs prolongements intérieurs. À l'inverse, ils s’obstinèrent en querelles futiles de symboles triviaux et d’identités régionales. Puis, la décision de désigner Strasbourg comme capitale fédérale fut contestée par plusieurs États. Dans la conscience de certaines nations, subsistaient de profonds soupçons quant aux motivations véritables de la République française. Compte tenu de la topographie de l'Europe, certains considéraient Vienne un choix plus judicieux. Cependant, ce fut un non catégorique des pays des Balkans et d'Europe centrale. Bruxelles ne représentait pas non plus une possibilité, surtout après la partition traumatique de la Belgique au milieu des années 2040, qui avait divisé en deux l'ancienne capitale et le défunt État. Suite à cette partition, les institutions européennes se relocalisèrent temporairement dans la capitale alsacienne dans l’attente d’un consensus. Un compromis abouti finalement avec l’engagement que le futur représentant français à la Commission n'occupe aucun poste clé. Le 31 octobre 2055, les délégués rendirent publique une position commune sur la future structure politique d'une Europe unie. Strasbourg devenait un district fédéral sous la juridiction exclusive du Parlement européen et la date symbolique du 25 mars 2057 était adoptée pour marquer la fin de la période transitoire. La date anniversaire du centenaire du Traité de Rome...

Le véhicule officiel fut soudain ébranlé d’un bruit sourd. Un visage déformé par la haine apparut derrière une vitre, ses mains écarlates cognant frénétiquement le verre blindé. Puis, un liquide écarlate sombre et visqueux se déversa sur les pare-brise avant et droit.

— Restez assis, Monsieur le Président ! Nous sommes en sécurité à l'intérieur, intima Barnabé. Son oreillette bourdonna frénétiquement. Nos services de sécurité sont déjà en action. Le secrétaire de Pierre-Antoine faisait preuve de sang-froid comme à son habitude.

— Montre-toi, salopard ! vociféra l’apparition démente. Viens, que je dépèce ta peau de sale traitre ! Amène-toi que je te vide de ton sang et de celui des ennemis de la France pour protéger ses véritables patriotes. Sors, ordure ; affronte ton bourreau !

Finalement, plusieurs paires de mains appréhendèrent l'agresseur, le bâillonnant et le menottant avant d’être emmené au loin.

— Selon les informations qui me sont communiquées, cet homme aurait réussi à franchir le périmètre de sécurité inopinément, poursuivit Barnabé. Les unités spéciales de la Sécurité intérieure me précisent qu’il aurait bénéficié de l'aide de complices employés par l'une des sociétés de sécurité privées engagées pour l'événement. Heureusement, il ne transportait qu'un récipient contenant une substance rouge imitant le sang. La situation est désormais sous contrôle.

— Magnifique ! s’exclama le président Lascombes avec frustration. Je vais de nouveau faire la une des journaux et l'on va me reprocher d'avoir délibérément gâché la journée...

— Tranquillisez-vous, Monsieur le Président, la présidence allemande de l'Union a déjà pris les dispositions nécessaires pour retarder la cérémonie en conséquence.

Le président français roula des yeux. — De mieux en mieux...

Le convoi pénétra enfin le périmètre de sécurité des derniers mètres conduisant à l'entrée du Parlement européen. L'imposante structure se dressait fièrement, brillant sous le soleil de cette journée exceptionnelle telle une orgueilleuse couronne de verre et de béton. À ses pieds, la chancelière allemande, Monika Richter, en costume bleu marine foncé et chaussures jaune vif, attendait impatiemment son ami et allié politique, un vaste sourire aux lèvres. La porte du véhicule présidentiel s’ouvrit sous le retentissement de la Marseillaise.

Nous y voilà ! L'aube d'une ère nouvelle...

 

2

 

Le diacre Shenouda Wahba terminait de ranger l'autel et le tabernacle après la fin de l’office du dimanche. Il était seul. Bien que ce soit un jour saint, peu de paroissiens avaient assisté à la célébration par suite des rumeurs de menaces potentielles contre le quartier chrétien. Heureusement, aucun incident ne s’était produit. On ne peut pas condamner les gens parce qu'ils ont peur, pensa-t-il. Nous avons versé suffisamment de larmes dans le passé. À la fin de la liturgie, il avait avisé ses collègues de regagner directement leurs foyers sans se préoccuper des dernières tâches à accomplir. En tant qu'orphelin élevé et vivant dans l'enceinte de l'église, il était sans êtres chers à charge, contrairement à eux. À vingt-deux ans, il était le plus jeune diacre de la confrérie. Son dévouement, son humilité et son empathie étaient connus et respectés dans la communauté copte locale et avaient favorisé sa progression fulgurante. La plupart des supérieurs de l'église louaient l'authenticité de sa vocation et auguraient de son ascension future vers les plus hautes fonctions de la prêtrise. Il est temps de partir.En sortant, il jeta un bref coup d'œil à la fresque ornant la coupole de laquelle les représentations des saints et du Christ Pantocrator le regardaient avec bienveillance.

De retour dans sa cellule, il s'empressa de quitter sa robe religieuse pour des vêtements plus appropriés, puis se dirigea vers la porte principale de l'église de la Vierge Ma-rie de Dayr Mawas. Le soleil était encore haut dans le ciel, signifiant qu'il lui restait suffisamment de temps devant lui. Shenouda souhaitait prendre le premier ferry disponible pour arriver en avance sur la visite guidée prévue en soirée afin de pouvoir flâner sur le nouveau site de fouilles. Outre ses devoirs spirituels, le père Zacharia —le mentor qui l'avait élevé et éduqué— l’avait constamment encouragé à s'engager dans des activités extra-religieuses dès son plus jeune âge. Le devoir d'un prêtre est de rester proche de Dieu et de ses parois-siens,répétait-il sans cesse. Nul ne peut appréhender le divin sans faire l'expérience du profane.Après avoir expérimenté diverses options, il avait finalement trouvé sa seconde vocation dans la fouille des sables de l'Égypte antique et l’étude des hiéroglyphes. Malgré les conditions rigoureuses de travail, la poussière pernicieuse et le bruit incessant, il prenait plaisir à aider ses compagnons de labeur et à se promener parmi les vestiges de l'ancien royaume des pharaons. Son esprit ne voyait aucune contradiction entre ses croyances religieuses et cette activité hétéroclite. Après tout, selon l'Évangile, la Sainte Famille s'était réfugiée dans le pays pour échapper à la colère d'Hérode. Chaque équipe de fouilles était un patchwork de cultures et de religions disparates. Pourtant, toutes fonctionnaient harmonieusement avec une unique ambition : découvrir plus de secrets, acquérir plus de connaissances et promouvoir l'attrait touristique. Mais Shenouda désirait aussi connaitre et s'instruire davantage sur son passé. En tant que Copte, destiné à la prêtrise, la compréhension de la première grande civilisation égyptienne faisait partie de la volonté de Dieu. Surtout dans cette région d’Égypte qui avait été le témoin de la première tentative du pays d'affirmer une foi monothéiste dans un monde dominé par des croyances polythéistes. Et ce, bien avant le christianisme et l'islam, et peut-être même le judaïsme, selon certains chercheurs controversés.

— Révérend Diacre Wahba ! Révérend Diacre Wahba ! La voix aiguë le tira de sa rêverie. Anaghnostos Missael l'appelait.

— Qu’y a-t-il, Missael ?

— Le très révérend évêque Athanase me presse de vous informer qu'il souhaite vous voir dès que possible. C'est plutôt important, m’a-t-il précisé. Le jeune homme haletait, balayant d’un geste irrité les mouches attirées par son front en sueur.

— Veuillez répondre respectueusement à l'évêque Athanase que je suis en route pour Tell el-Amarna. Je me suis engagé à guider la dernière visite du site en ce dernier jour de la saison des fouilles. Malheureusement, je ne peux pas me permettre d'arriver en retard. Mais, assurez-le que je me présenterai à son bureau à la première heure demain.

— Il semblait impatient de vous voir, mais je transmettrai votre message. Le novice s'inclina respectueusement et s’éloigna dans la direction opposée.

— Anaghnostos Missael, encore une chose ! Le jeune homme s'arrêta brusquement. Veuillez aussi informer monseigneur que je ne pourrai très certainement pas assister aux vêpres ce soir.

Shenouda franchit les grilles de l’enceinte et se mit à courir dans les rues animées de la ville en direction de l’embarcadère des ferries. Il ne souhaitait pas manquer le bateau. Il atteint le quai vingt minutes plus tard, couvert de sueur, mais, à sa grande joie, au moment exact où le navire s'amarrait. Qu'est-ce que le vieil homme veut de moi ? Probablement une veuve ou un orphelin à visiter et à consoler, pensa-t-il. Cela peut certainement attendre jusqu'à demain.Ses yeux d'un bleu intense errèrent le long des sombres eaux majestueuses du Nil qui s’écoulaient doucement dans son lit. À l'horizon, derrière la chaîne de montagnes, de denses nuages noirs s'amoncelaient, signe d'une tempête imminente. Durant les dix dernières années, le climat du pays s'était radicalement modifié. Les taux d'hygrométrie augmentaient et les précipitations devenaient plus saisonnières et plus abondantes. Les terres fertiles s'étendaient désormais au-delà des limites naturelles du Nil au grand plaisir des fellahin. Mais, cela avait également un impact significatif sur la préservation de monuments historiques peu habitués à une humidité atmosphérique accrue après des millénaires de climat aride. La situation politique dans certaines parties du monde affectait directement un gouvernement égyptien déjà en proie aux difficultés financières et ajoutait une pression supplémentaire dans la préservation du patrimoine du pays. Les touristes se faisaient de plus en plus rares. Une raison supplémentaire de contribuer à la survie du site...

— Vous êtes mon meilleur guide, Shenouda, lui avait déclaré le professeur Walters quelques jours auparavant. La dernière visite guidée de la saison est habituellement la plus importante en ce qu’elle attire les mécènes et assure des financements pour la suivante. La continuité de nos fouilles dépend de son succès.

— Je ferai de mon mieux, Professeur, je vous le pro-mets. N'oubliez pas que l’office de ce dimanche revêt une importance particulière pour nos séminaristes, notre hiérarchie et, surtout, notre communauté.

— C'est pourquoi je l'ai programmée à 18 h 00. Le groupe réunira plusieurs éminents donateurs et membres du conseil d'administration. Ils s'attendent à être guidés par un descendant des anciens Égyptiens. Vous savez l'impact que cela peut avoir. S'il vous plaît, je vous en supplie. La voix du professeur Walter devenait désespérée.

— Encore une fois, je ne peux que vous promettre que je ferai de mon mieux. Maintenant, si vous voulez bien me pardonner, il me faut retourner à mes études religieuses. Comme vous le savez, Dieu est un maître jaloux....

Le ferry voguait à présent vers la rive Est, dérivant paisiblement sur les eaux sereines au milieu d'une brise légère jouant avec le papyrus. Un descendant des anciens Égyptiens, pensa-t-il. Oui, c'était ainsi qu’était fréquemment désignée la communauté copte. La légende voulait que le peuple des pharaons se soit converti au christianisme et ait ensuite résisté à l'assimilation arabe grâce à la force de sa foi. Mais, rien ne prouve que j’appartienne à ma communauté. Je ne suis qu'un enfant abandonné sur les marches de l'église de la Vierge Marie. Je pourrais être issu de n'importe quelle autre communauté. Cependant, cette perspective accroissait notablement sa popularité auprès des touristes, générant une demande appréciable pour ses visites guidées. Et, qui pourrait le blâmer quand le père Zacharia mettait constamment en avant ce qu'il appelait « notre héritage. »

Le jeune diacre atteint finalement la Maison des fouilles d'Amarna. Il me reste plus d'une heure et demie avant la visite. Cela lui laissait assez de temps pour se promener sur le site de fouilles de la banlieue sud, où les restes de la maison familiale d'un dignitaire inconnu avaient récemment été mis au jour. Passionnant ! Il examina brièvement les falaises à l'est, où les nuages sombres devenaient de plus en plus menaçants. La tempête éclatera dans la soirée.

— Shenouda, mon garçon ! Vous êtes venu ! éructa le professeur John Walter, remarquant soudainement le diacre. L'Anglais dégustait une tasse de thé, assis à l'une des tables en terrasse. Il se précipita vers le jeune homme avant de le serrer dans ses bras. — Mon Dieu, je suis si heureux que vous soyez là ! Le visage barbu du professeur était tout sourire, ses yeux pétillants de joie, ricanant tel un enfant de cinq ans. La cinquantaine bien entamée, l'archéologue était de nature joviale, toujours affable avec son entourage, même après cinq ans de supervision de la mission. Il portait un costume beige immaculé et des chaussures noires cirées impeccablement.

— Ne vous excitez pas trop, Professeur. Vous devez produire une impression favorable sur vos invités, gloussa Shenouda. Est-il vrai que l'équipe a découvert un nouveau palais de dignitaire dans la Cité du Sud ?

— En effet, en effet ! Une découverte extrêmement encourageante, je dois dire. Cependant, votre curiosité devra attendre un autre jour. Puisque vous êtes arrivé en avance, il nous faut nous atteler à la tâche immédiatement.

— Mais, Professeur, vous m'aviez promis...

— S'il vous plaît, s'il vous plaît, s'il vous plaît ! supplia-t-il avec ses mains. Nos invités sont déjà là, leur bateau est ancré au centre d'accueil, et ils sont impatients. Voici comment nous allons procéder : je les escorterai jusqu'à la salle de conférence du Centre pour une présentation de trente minutes de nos découvertes les plus récentes, du rapport budgétaire et de nos besoins futurs. Ensuite, vous effectuerez la visite habituelle, en commençant par la collection du Centre, puis le Grand Temple d'Aton, le Grand Palais et ses environs, et enfin l'Atelier de Thoutmosis. Mais, cette fois, au lieu de continuer vers les tombes royales, vous les conduirez à la stèle S ! dit-il d'une voix exaltée.

— La stèle S ? répondit Shenouda avec surprise.

— Absolument ! Sa rénovation a été entièrement achevée la semaine dernière, grâce à l'aide de dernière minute du ministère des Antiquités. C'est l'occasion idéale de montrer à nos mécènes comment nous utilisons leurs dons et de démontrer nos excellentes relations avec les autorités nationales. Vous savez à quel point le projet des stèles est essentiel.

— Je sais, je sais. Mais, est-ce bien raisonnable ? Le chemin vers la stèle S est ardu, et les prévisions météorologiques ne sont pas optimistes. Il pointa du doigt le ciel menaçant à l'est.

— C'est à dix minutes en voiture, et les nouveaux escaliers sont aussi terminés. Nous aurons juste assez de temps, je peux vous l'assurer. La tempête n'est attendue que tard dans la soirée.

— Très bien, très bien, je me rends, répondit Shenouda avec un sourire. Laissez-moi juste un quart d’heure pour me rafraîchir.

— Mais bien sûr, mon garçon ! Oh ! Ce sera un tel succès ! Le quinquagénaire l'embrassa de nouveau avant de se diriger vers le Centre des visiteurs, en sifflotant. Que pouvait-on refuser à une personne aussi candide ?

***

“… « ... Comme mon père, le vivant Râ-Horakhty, vit en se réjouissant de ce qui est juste,

en son nom comme Shu qui est dans le disque solaire,

donnant la vie pour toujours et pour l'éternité,

comme mon cœur est adouci

par la femme du roi, par ses enfants,

que la vieillesse soit accordée à l'épouse du grand roi

Neferneferuaten Nefertiti, que lui soit accordé la vie éternelle,

dans ce million d'années,

tant qu'elle est sous la protection de Pharaon, qu'il vive, prospère et se porte bien,

et que la vieillesse soit accordée à la fille du roi, Meretaten,

et à la fille du roi, Meketaten, et ses enfants,

tant qu'ils sont sous la protection de la femme du roi.

leur mère pour toujours et pour l'éternité.... »….”

— Notre visite se conclut avec ce passage du serment du pharaon Akhenaton à l'Aton inscrit sur cette stèle. J'espère que vous y avez pris autant de plaisir que j’en ai eu à vous guider aujourd'hui.

Une vague d'applaudissements frénétiques accompagnée d’acclamations soutenues brisèrent le silence. Shenouda s'inclina modestement et leur sourit en guise de remerciement. Derrière lui, rayonnant dans l'éblouissant coucher de soleil, se dressait sur la falaise de calcaire, l'imposante image sculptée du roi Akhenaton, de la reine Néfertiti et de leurs quatre filles priant pieusement le dieu Soleil Aton les gratifiant en retour de sa bienveillance.

— Bravo ! Bravo ! Un grand merci à notre guide exceptionnel, Shenouda ! Le professeur Walters applaudit frénétiquement. Merveilleux, merveilleux ! Je suis certain que vous avez des dizaines d'autres questions à poser à ce splendide jeune homme. Aussi, retournons tous au Centre pour profiter de quelques rafraîchissements et amuse-gueules. Nous y serons plus à l'aise pour...

Le sinistre ciel de fer éclata soudain dans un brillant flash de lumière, percutant le sommet de la crête. Puis un déluge d'eau se déversa des cieux, tombant en cascade sur les rochers voisins. Le petit groupe dévala précipitamment les marches en béton pour regagner la sécurité du minibus garé en contrebas. Malgré ses efforts désespérés pour bouger, le corps de Shenouda resta figé. Les éléments se déchaînaient autour de lui dans un tourbillon d'éclairs. Le jeune prêtre se sentit possédé par une impulsion irrésistible de diriger son regard vers la stèle, tel un appel subconscient. La sculpture entière scintillait magiquement dans la clarté du soleil mourant, entourée de lumières stroboscopiques, dans une manifestation surréaliste de la puissance divine. À cet instant, toute la scène sculptée prit soudai-nement vie. Le pharaon, sa femme et ses filles tendirent les mains vers l'Aton, psalmodiant des prières à voix haute dans l'espoir d'obtenir sa protection magnanime. En récompense, le disque tout-puissant du Soleil accorda ses bénédictions éternelles à ses fidèles adorateurs. À un moment donné, l'image de la reine Néfertiti prit forme et se déplaça lentement en direction de Shenouda, lumière transcendant la lumière, beauté sublimant la beauté. Alors que ses yeux hypnotiques scrutaient les profondeurs de l’âme du jeune homme, une voix suave résonna à travers le tumulte.

« Souviens-toi de ton serment, mon fils, rappelle-toi ton engagement envers Aton. Rends-toi au nord, au pays de Khor. Trouve la pierre sacrée et accomplis ton destin. »

Le flamboyant dieu Soleil derrière elle devint plus grand et plus étincelant. L'Œil de Râ le fixait, magnifique, tout-puissant, terrifiant, jusqu’à ce que son aura incinère les alentours dans un éclat massif de lumière. Au milieu de l'éruption, Shenouda aperçut une ville étendue se volatilisant dans les flammes. La vision fut interrompue par un second puissant flash de lumière s’abattant sur le sommet de la crête, suivi d'une détonation puissante et d'une explosion massive de rochers. Puis tout devint obscur.

3

Le son des rires résonna dans les rues blanches et sereines du monastère. Trois adolescents couraient gaiement dans les ruelles désertes des quartiers résidentiels en direction du temple principal. À l’origine de leur euphorie, la dispense spéciale qui leur avait été accordée cet après-midi et dont ils avaient bien l'intention de profiter.

— Plus vite Jamyang ! Nous ne voulons pas être en retard !

— J'arrive, j'arrive, Kalsang ! Je fais ce que je peux. Le jeune moine haletait pour respirer tout en s'efforçant de monter l'escalier raide.

— Ce serait plus facile pour toi si tu mangeais moins de momos !

— C'est pas ma faute si ma mère continue à en apporter chaque fois qu'elle me rend visite. Elle veut seulement que je reste fort et en bonne santé.

Son compagnon s’esclaffa. — Tu n'es pas fort et en bonne santé, Jamyang ; tu es GROS !

— Kalsang, s'il te plaît ! Tu devrais être plus prévenant envers ton frère moine et t'abstenir d'employer un tel langage, répliqua une troisième voix. Où est passée ta bienveillance ?

— Chaque patient porte en lui son propre médecin,Rinchen.

— Mais celui qui donne de la nourriture donne la longévité, un teint agréable, le bonheur, l'endurance et l'intelligence,rétorqua Jamyang.

— Ne commencez pas, vous deux, ordonna Rinchen. Ce n'est pas le moment de débattre. Et, nous sommes presque arrivés. Kalsang, la prochaine fois, utilise un mot plus compatissant.

— Tel que ?

— Tel que... voyons voir... "indulgence" ! Ce n'est un secret pour personne que notre frère Kalsang trouve trop d'indulgence dans les plaisirs de la nourriture. Nous devons prier le Bouddha de lui accorder la force dans sa lutte quotidienne.

— « Indulgence » ? Lutte quotidienne ? Vraiment ?

Le trio éclata de rire. Leur professeur, le Vénérable Kunchen Lama, les surnommait les Inséparables.

Âgé de 17 ans, Rinchen, était l'aîné du groupe. Bien instruit dans les écritures, ses camarades l'appelaient désormais "lama". Il était issu d’une famille aisée de Dharamsala. Après avoir servi le dernier Dalaï Lama dans sa jeunesse, son père était devenu un membre éminent de l'Administration Centrale Tibétaine. En tant que second fils et suivant la tradition familiale, Rinchen avait été envoyé au monastère de Tawang à l'âge de sept ans pour rejoindre la Sangha. Bien que sa "vocation" représentât au départ une obligation, le jeune garçon avait rapidement adopté la vie monastique qui lui permettait d'échapper aux brimades incessantes de son frère aîné. Il avait également une petite sœur, mais elle était trop jeune à son départ pour se souvenir pleinement de lui. Néanmoins, elle incluait invariablement quelques mots tendres dans les lettres envoyées par sa mère. Physiquement, Rinchen était grand et mince, et ses yeux noirs et intenses soulignaient son visage émacié. Il était le sage : studieux, perspicace et avide de connaissances.

 Jamyang et Kalsang étaient ses cadets de deux ans. Ils étaient arrivés au monastère le même jour, et le Vénérable Kunchen Lama avait chargé Rinchen de les prendre en charge. Depuis, les trois garçons partageaient la même cellule et ne se quittaient quasiment jamais.

Kalsang était originaire de Bomdila, dans l'État d'Arunachal Pradesh, plus au sud. Après avoir consulté l'oracle, ses parents avaient accepté de le faire moine pour améliorer le karma de la famille. Ils préférèrent Tawang à sa ville natale en raison de la plus réputation considérable du monastère. Il était l’importun : doté d'une énergie inépuisable et ne négligeant jamais une occasion de contredire ses aînés.

Jamyang était originaire de Tawang. Dès son plus jeune âge, il était obsédé par l'idée de devenir moine. Sa mère racontait sans cesse qu'elle partait régulièrement le chercher dans l'enceinte du monastère, où il s'échappait constamment. Après avoir observé son comportement, l'abbé, le Vénérable Chophel Rinpoché, avait conclu que ce n'était pas une coïncidence et qu’il ne pouvait y avoir qu’une seule explication plausible : Jamyang était la réincarnation d'un ancien lama désireux de s’instruire davantage du Dharma. Ainsi, après avoir obtenu la permission de ses parents, il rejoint la Sangha à l'âge de huit ans. Dévoué à ses études et très respectueux des enseignements sacrés, il se tenait constamment derrière ses deux compagnons. Il était le taciturne : le plus timide des trois, ses yeux exprimant fréquemment une mélancolie particulière et lointaine.

— Hé, vous trois, ramenez-vous ici ! C'était la voix de Wangdue Lama, le cuisinier. Êtes-vous ceux que Kunchen Lama m’a envoyé ? L'homme robuste les regardait avec mépris, les poignets croisés sur les hanches. Des taches de graisse sales recouvraient son shemdap et sa dhonka. Cependant, l'imposant moine était connu pour ne pas se soucier de ces détails. Il était également réputé pour son impolitesse. Son unique source de fierté était sa capacité à cuisiner, et le Bouddha savait à quel point il était doué.

— Oui, c’est nous, Vénérable Wangdue Lama, répondit Rinchen en joignant les mains et en s'inclinant respectueusement.

— Venez, alors ! Vous voyez ces six bassines de restes de nourriture ici ? Emmenez-les au recyclage.

— Mais c'est la tâche d'un jeune novice ! rétorqua Kalsang, d'un air de défi.

— C'est la tâche que le Vénérable Kunchen Lama m'a enjoint de vous assigner ! Alors, au boulot ! répliqua-t-il d'un sourire pervers. Sinon, retournez à vos études et oubliez votre permission.

— Nous le ferons respectueusement, Wangdue Lama, acquiesça Rinchen.

— Mais...

— Kalsang, s'il te plaît. La félicité ne consiste pas en pas une chose toute faite. Elle résulte de nos actes. Exécutons cette tâche avec humilité et profitons ensuite de notre après-midi.

Ils prirent les bassines et les transportèrent jusqu'à la zone de recyclage située à une centaine de mètres. Jamyang suivait silencieusement ses deux compagnons quand il lâcha soudainement son chargement. Il tremblait l'air terrifié.

— Jamyang, que se passe-t-il ? demanda Rinchen.

— Ils sont... là, balbutia-t-il. Vous savez bien... eux... Son dernier mot mourut dans un murmure.

— Voyons, Jamyang, tu as quinze ans ! le sermonna Kalsang. Ne me dis pas que tu as toujours peur d'eux ?

— Tu sais bien que nous te protégerons tous les deux, Jamyang, promis Rinchen. Ne t’inquiète pas. Allez, continuons.

Ils atteignirent rapidement la benne de recyclage et commencent à y déverser les ordures. Immédiatement, de vigoureux couinements retentirent au-dessus de leurs têtes. Assises gracieusement sur le bord du mur, trois créatures duveteuses les observaient avec curiosité et avidité. Elles appartenaient au groupe local de macaques, dont le territoire comprenait la décharge. Jamyang se figea entièrement, et ses yeux s'embuèrent de larmes. Quelques années auparavant, il avait vécu une expérience traumatisante avec l'un de ces primates. Un des singes se mit à hurler, provoquant l’apparition de plusieurs autres de ses congénères. Un mâle dominant de forte corpulence émergea le long du mur et hurla bruyamment tout en les examinant fixement.

— Poursuivez votre tâche. Ignorez-les. Et, surtout, ne les fixez pas du regard. Ils ne sont agressifs que s'ils se sentent menacés. Et, Kalsang ?

— Oui, Rinchen ?

— Évite de leur lancer des pierres, comme tu en as l’habitude. Je ne suis pas d'humeur à les affronter, et c'est mauvais pour ton karma.

— D'accord, d'accord...

Les trois garçons récupérèrent prestement les bassines avant de s'éloigner lentement. Puis, dès qu'ils eurent atteint une distance raisonnable, ils se mirent à courir comme des forcenés. Les macaques sautèrent au bas de l’enceinte et se précipitèrent vers les relents en vociférant et en se battant. Jamyang filait en tête, transporté par des ailes invisibles provoquant l’hilarité de ses compagnons. Haletants, mais joyeux, ils parvinrent enfin à la cuisine. Le cuisinier les y attendait de son air sévère en compagnie de leur maitre, le Vénérable Kunchen Lama. Le trio s'inclina respectueusement devant le visage vieillissant qui leur sourit avec bienveillance avant de leur rendre courtoisement le geste.

— Ah ! Voici nos Inséparables ! Avez-vous accompli la tâche que je vous ai confiée ?

— Oui, Vénérable Kunchen Lama, répondit Rinchen.

— Et toi, jeune Jamyang ?

— J'ai fait ce qu'il m'a été demandé, Vénérable Kunchen Lama. Il scrutait le sol, toujours sous le choc.

— Il a été très courageux et a affronté sa peur avec honneur ! poursuit Kalsang d'une voix fière.

— C’est très bien, Jamyang, dit le Vénérable Kunchen Lama d'une voix soyeuse.. Sache bien ce qui te fait avancer et ce qui te retient, et choisis le chemin qui mène à la sagesse. Parfait, une promesse est une promesse. Vous trois pouvez aller errer où votre cœur le souhaite. Je vous attends pour le dîner à sept heures.

— Ouais !

Le vieil homme se tourna vers Rinchen. — Rinchen Lama.

— Oui, Vénérable Kunchen Lama ?

— Tu te présenteras au bureau de l'abbé demain à midi, après le déjeuner. Nous avons des questions importantes à discuter avec toi. Il regarda Kalsang et Jamyang. Vous deux pouvez l'accompagner.

Ils s’inclinèrent simultanément. — Nous vous sommes reconnaissants, Vénérable Kunchen Lama.

— Très bien, allez-y ! Dépêchez-vous, avant que je ne change d'avis ! leur ordonna-t-il, les yeux remplis de malice.

Ils détalèrent sans se retourner jusqu'à atteindre les portes du monastère.

— Où allons-nous ? demanda Kalsang.

— Allons au lac ! répondit Jamyang. La peur ayant déserté ses pensées, il se comportait désormais comme un enfant. Je demanderai à mon frère de nous y conduire. Puis, nous pourrons revenir à pied.

***

Hormis le chant des oiseaux voletant aux alentours, le lac Pang Teng Tso était paisible et déserté. Son étendue calme et cristalline scintillait sous les rayons du soleil radieux. Les températures étaient déjà relativement clémentes pour un mois de mars. Au loin, le mont Kangto observait majestueusement les environs, les dernières chutes de neige hivernales s’accrochant désespérément à ses pentes avant leur fonte qui ne saurait tarder. Cela faisait une décennie que la chaîne de montagnes n'avait pas été entièrement recouverte de neige toute l'année. Rinchen observa le miroir naturel avec contemplation et admiration, émerveillé par la sérénité ambiante.

Kalsang se prélassait nonchalamment sur un tapis de mousse moelleuse, vêtu de son shemdap, et séchant au soleil après un vigoureux bain dans les eaux glaciales. Son zhen et sa dhonka étaient pliés sur un rocher près de lui. — Rinchen ? À ton avis, de quoi le Vénérable Kunchen Lama souhaite-t-il discuter avec toi ?

— Honnêtement, je n'en ai aucune idée, Kalsang. Je suppose que j'en saurai plus demain.

— Ça doit être important si l'abbé est présent.

Rinchen laissa ses pensées dériver. Il avait apprécié les prières et la méditation du matin. Comme souvent, elles l'aidaient à recouvrer une certaine sérénité intérieure. Ses dernières nuits avaient été troublées par le même rêve récurrent. Il se tenait dans un pays étranger, loin de l'Inde. Un endroit froid et humide, couvert de montagnes arrondies et brunâtres. Puis, un instant plus tard, il se voyait assis dans une cellule, deux vagues silhouettes à ses côtés. L'une d'elles pleurait lentement tandis que l'autre lui demandait d'une voix angoissée :« Que dois-je faire, Rinchen ? Cela va à l'encontre des enseignements du Bouddha. »À chaque fois, il se réveillait avant de pouvoir répondre. I should tell Venerable Kunchen Lama about this dream, he thought. He took three deep breaths and calmly emptied his mind.

— Quelle journée splendide, ajouta-t-il. Une occasion appropriée pour méditer.

— Quoi ? s’écria Kalsang. Mais, nous avons déjà pratiqué la méditation ce matin.

— Méditer parmi nos frères dans le temple représente une partie de la pratique. Le faire en communion avec la Création en représente une autre. Le Seigneur Bouddha a atteint l'éveil en méditant sous un arbre. Nous devrions imiter son exemple. Je propose par la suite de nous arrêter à la maison de Jamyang sur le chemin du retour au monastère. Je suis sûr que sa mère a préparé de délicieux momos que nous pourrons déguster en savourant du thé. Qu'en pensez-vous ?

Kalsang joignit les mains et s'inclina révérencieusement avec un large sourire. — Vénérable Rinchen Lama, vous avez une fois de plus parlé avec sagesse...

Les trois moines s'effleurèrent réciproquement le front avant de s'asseoir côte à côte dans la posture du lotus. Ils redressèrent leur dos avant de reposer les mains sur leurs jambes. Puis, ils fermèrent les yeux, relâchant progressivement leurs muscles de la tête aux pieds, permettant ainsi à leur corps de se calmer et d'atteindre l'équilibre. Ils perçurent la chaleur bienveillante du sol soutenant délicatement leur frêle enveloppe physique. Instantanément, le maelström de pensées envahi leur esprit. Leurs paupières s'entrouvrirent légèrement, embrassant l'immensité. Respiration calme et lente. La tempête intérieure s'apaisa, se retira, et s'éloigna en flottant. Respiration calme et lente. Les mots de leur maitre résonnèrent dans leurs têtes. Vide.

« L'air entre et sort, un bruit réconfortant et apaisant. La conscience. Conscience de l'esprit, du corps dans son ensemble et des milliards de cellules liées en une entité unique. La conscience s'étend. Remarquez votre environnement. Sentez le sol, le contact soyeux de l'humidité, la chaleur du soleil. Prêtez attention aux sons des créatures vivantes, à la brise qui effleure délicatement la surface de l'eau, qui joue joyeusement avec l'herbe, et à l'arôme parfumé des fleurs épanouies. Ouvrez-vous. Permettez à votre conscience de se détacher de sa gaine mortelle. Élevez-vous au-dessus des montagnes jusqu'aux profondeurs de l'espace. À présent, contemplez la Terre. Cette sphère bleue rayonnante, flottant gracieusement dans le vide, dansant élégamment avec ses sœurs autour de notre étoile jaune flamboyante. Permettez à votre force vitale de danser avec elles pendant un moment avant de poursuivre votre voyage. Observez le Soleil qui rétrécit progressivement, devenant de plus en plus petit, jusqu'à ne représenter qu’une infime lumière brillante parmi d'innombrables autres infimes lumières brillantes et scintillantes. Observez-les se rassembler dans le vaste nuage tourbillonnant de notre galaxie. Maintenant, embrassez l'Univers, en perpétuelle évolution et transformation. Soyez témoin de l'impermanence, "mi rtag pa" — le cycle éternel de la vie et de la mort. Enfin, ouvrez votre œil intérieur et regardez au plus profond de votre âme. Sentez le contact de votre conscience. Embrassez la lumière qui brille en son centre. Vous êtes la lumière, et la lumière est en vous. Une symbiose parfaite, une pure harmonie... »

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